Refusons l'indignité et la résignation !
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Le Monde article de Sandrine Roudaut 12 janvier 2017
Dans un monde en déroute, nous n'avons d'autres choix que de résister, de désobéir
L'époque est tragique : pollution des eaux, de l'air,
contamination de nos terres, confiscation des biens communs, usines
indignes, finitude des ressources, triomphe des lobbys, abandon des
réfugiés, médiocrité politique… Plus ce péril philosophique : notre
mode de vie nuit à celui de nos enfants. Mais l'époque est également
sublime : partout des initiatives réinventent demain. La mondialisation
a mondialisé la résistance. Dispersés mais subissant les mêmes
absurdités, des hommes et des femmes expérimentent une autre société,
par petits bouts. En résilience, l'aventure humaine avance.
Du plus tragique naît le sublime. Jean-Paul Sartre disait : "
Jamais nous n'avons été plus libres que sous l'Occupation. " Le pire
nous accule. Beaucoup se réfugient dans le déni, la peur, la violence.
D'autres se réveillent, l'insoutenable les amène à se tenir debout. Une
force en soi jamais soupçonnée. Dans un monde en déroute, nous sommes
assignés à résistance, contraints à la désobéissance. On ne désobéit
pas par goût pour l'anarchie, mais par amour, par attachement radical à
la justice, la solidarité, l'humanité. On ne naît pas opposant ou
révolutionnaire, on le devient.
écouter son for intérieur
L'humanité avance à coups d'utopies. Portées par des
minorités désobéissantes, jamais par les élites ou la majorité. Le
droit de vote des femmes, l'abolition de l'esclavage, la fin de la
ségrégation, la Sécurité sociale… A l'époque, ce n'est pas venu du
haut, et c'était impopulaire. Aujourd'hui ce sont des évidences, bien
peu s'y opposerait. Hier, c'était des utopies défendues par une
minorité décriée. On n'aime pas les utopistes qui désobéissent, ils
menacent une apparente harmonie, l'ordre établi, partagé, notre ciment
social. Ce sont des traîtres à la cause… Les suffragettes traîtresses à
l'harmonie familiale, les abolitionnistes traîtres à l'économie et,
aujourd'hui, les écolos, les lnceurs d'alerte, ceux qui aident les
réfugiés : des traîtres. Les suffragettes, les femmes leur crachaient
dessus. Aujourd'hui, il n'y a pas de ton assez méprisant pour
disqualifier la position humaniste : des bobos, des Bisounours.
Pourtant, quand l'Histoire nous met à l'épreuve, ces désobéissants nous
honorent, eux seuls sont capables de ne pas exécuter des ordres
absurdes, cruels, de se soustraire à la collaboration, ou de refuser
d'envoyer une décharge électrique à un être humain pour une expérience
scientifique. Ceux-là écoutent leur for intérieur, plutôt que la meute,
plutôt que de se soumettre à l'autorité, au conformisme et au confort,
nos servitudes volontaires, nos pires faiblesses…
Il en suffit d'une poignée.Les suffragettes étaient 300
devant le Parlement britannique, les résistants, de 2 % à 3 % de
la population. La chute du mur de Berlin a commencé un lundi à Leipzig
avec des personnes qui pensaient que ce n'était plus possible. Elles
n'ont pas attendu un homme providentiel. Elles n'avaient ni modèle
miracle ni feuille de route. A posteriori, on lisse les grands
mouvements, on les imagine prémédités, structurés, guidés par des
héros. C'est faux. Ils sont imparfaits, dispersés, peu lisibles au
départ, et les prétendus héros sont des insoumis ordinaires. Leur seul
héroïsme est d'écouter leur humanité. Le mythe des héros nous tétanise.
Tant que nous les attendons, nous ne nous faisons pas confiance. Nous
n'avons pas besoin de quelques héros d'exception, mais de beaucoup
d'êtres imparfaits.
Aujourd'hui, c'est nous ces utopistes, ces êtres libres,
suspendus entre nos lumières et nos fragilités, entre nos doutes et nos
audaces. Nous avons rendez-vous avec l'Histoire et avec nous-mêmes. On
est né pour vivre, pas pour se préparer à vivre. Pour en être, pas pour
commenter. Saisissons-nous de cette chance. Empoignons nos vies,
habitons le monde, intensément, accomplissons-nous, dans un destin
collectif et personnel. Jetons-nous corps et âme. Refusons l'indignité
et la résignation. On ne peut pas renoncer à ses valeurs, on ne peut
pas renoncer à soi. Que voulons-nous faire de notre vivant… C'est une
question profondément joyeuse. C'est maintenant que ça se joue et cela
ne tient qu'à nous.
Par Sandrine Roudaut