Le Décodex passe les sites au crible
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" Le Monde " lance un dispositif pour aider les internautes à repérer les informations les moins fiables.
Attentats, Brexit, présidentielle américaine et maintenant
française… Qu'on l'appelleindifféremment " fake news ", propagande,
intox ou mensonges, la question de la fiabilité de l'information en
ligne ou de son instrumentalisation s'est imposée dans les débats. A
l'heure de Facebook, de Twitter et du mobile, s'informer consiste
aujourd'hui surtout à savoir trouver des éléments fiables au milieu
d'un maelström d'articles, d'images, de vidéos, d'opinions, etc.
Avec Les Décodeurs, créé en 2009 sous la forme d'un
blog et devenu une rubrique depuis 2014, Le Monde s'est donné une
mission, celle de la vérification de la parole publique ("
fact-checking "), qu'il s'agisse de propos politiques ou de rumeurs sur
le Web.
Mais ce travail, quels que soient les moyens que nous y
consacrons, reste limité : les équipes des Décodeurs repèrent et
traitent une à une les informations qui semblent mériter un éclairage.
Mais il y a largement plus de rumeurs que de ressources pour toutes les
vérifier une à une. D'où cette question récurrente : est-il possible
d'automatiser la vérification ou la contextualisation de l'information
? Et si oui, comment ?
Trois outils en un, tous gratuits
Le Décodex, lancé mercredi 1er février, est l'un des
fruits de ce long travail, sur lequel il reste encore beaucoup à faire.
Il a pour objectif de fournir au plus grand nombre des outils simples
pour apprécier la véracité des informations. Il ne permettra pas de
vérifier toutes les rumeurs qui circulent en ligne, mais il offre déjà
à chaque internaute les moyens de repérer les plus évidentes d'entre
elles, et d'être averti lorsqu'il consulte un site connu pour diffuser
de fausses informations.
Le Décodex propose trois outils en un, tous gratuits. Tout
d'abord, un moteur de recherche pour trouver un site, par son nom ou
son adresse. Ensuite, une extension, c'est-à-dire un petit programme
qui peut être ajouté à son navigateur, et qui signalera, au fur et à
mesure de la navigation, par une fenêtre, si le site est fiable ou non.
Précisons-le : aucune information personnelle n'est enregistrée par nos
outils. Nous proposons également un " robot " Facebook, que vous
pourrez interroger pour savoir si un site est fiable, et qui pourra
vous dispenser des conseils pour vérifier une information. Enfin, nous
proposons une série d'articles et de vidéos expliquant comment vérifier
une information, une image, un sondage…
Les Décodeurs du Monde.fr ont référencé un peu plus de
600 sites d'information, classés selon une " grille "
méthodologique, qui prend en compte non leur orientation politique ou
idéologique, mais avant tout leur fiabilité journalistique :
publient-ils des informations vérifiées ? Donnent-ils leurs sources ?
Les auteurs sont-ils identifiés ?
La démarche part d'un constat récurrent : souvent, les
lecteurs peuvent être bernés. On peut citer l'exemple d'un site comme
IVG.net – il fait partie d'un réseau de vrais-faux sites d'information
sur l'avortement, en réalité tenu par des militants opposés à
l'interruption volontaire de grossesse –, ou de faux portails
d'information locale, qui sont en fait tenus par des militants
d'extrême droite.
Avec les réseaux sociaux, il est très simple de se donner les
atours d'un site d'information sérieux pour mieux diffuser sa
propagande. Notre outil doit permettre à l'internaute de savoir qu'il
ne se trouve pas sur un site " neutre ", mais sur un organe militant.
Eviter la confusion sur les sources
Face à des faux sites de plus en plus sophistiqués, il
s'avère difficile de savoir à qui l'on a affaire. Cette situation crée
un réel désarroi chez de nombreux internautes, qui finissent par ne
plus savoir s'ils consultent un site d'information, un site parodique,
ouun faux nez, alimenté par un groupuscule d'extrême droite.
Pendant la campagne présidentielle américaine, des centaines
de milliers d'internautes ont, par exemple, été piégés par un article
en ligne affirmant que le pape François aurait soutenu le candidat
républicain Donald Trump.
D'où la nécessité d'indexer également les grands sites de
médias, les blogs, et même les pages Facebook, les comptes Twitter et
les chaînes YouTube. Cela permet de certifier à l'internaute
qu'il se trouve bien sur le site Lemonde.fr et pas, par exemple, sur un
faux site qui utiliserait son nom.
Il s'agit d'un travail de longue haleine, qui se veut
également collaboratif : à chaque fois que l'internaute est confronté à
une source inconnue, il pourra, à terme, solliciter les équipes des
Décodeurs pour obtenir des réponses et pour demander l'ajout de la
source à la base de données de l'outil.
Il ne s'agit pas de censurer
Notre outil est fondé sur une grille de lecture simple, qui
vise avant tout à établir si les informations présentées sont fiables,
quelle que soit l'orientation politique de l'émetteur : reprend-il des
informations d'autres sources ? Les cite-t-il ? Met-il en avant tous
les arguments ? A-t-il souvent publié des informations fausses ?
Il vise aussi à préciser, le cas échéant, qui dirige, écrit,
possède le site ou canal sur le réseau social en question. Il n'est pas
destiné à " censurer " quoi que ce soit : d'une part, son utilisation
est totalement libre ; ensuite, même une fois installé, l'outil
n'empêche en rien de consulter le site ou le compte sur un réseau
social.
Ce n'est qu'un début. Les Décodeurs souhaitent améliorer et
compléter cet outil – en fonction des remarques et des critiques des
internautes – et lui adjoindre d'autres fonctionnalités. L'objectif est
aussi de mobiliser une communauté d'internautes volontaires pour
épauler les équipes sur ce projet. Celles-ci travaillent également avec
des chercheurs autour de la question de l'automatisation des
vérifications, ce qui contribuera à enrichir cet outil.
Notre outil Décodex est une première étape, sans doute insuffisante, mais qui, nous l'espérons, servira au plus grand nombre.
Adrien Sénécat
MODE D'EMPLOI plusieurs services
Une base de données et un moteur de recherche
Nous avons indexé 600 sites classés en cinq catégories : collectif,
parodique, très peu fiable, peu fiable et plutôt fiable. Cette base est
accessible pour les abonnés au journal www.lemonde.fr/verification
Des " extensions "
Les extensions sont de petits programmes qui s'installent sur votre
navigateur. Au fur et à mesure de votre navigation sur Internet, si
vous tombez sur un site peu fiable, une fenêtre vous avertit.
Un " robot " Facebook
Sur le réseau social, vous pourrez dialoguer avec un programme qui vous donnera des informations sur les sites.
Des " kits " pédagogiques
De nombreux conseils pour vous apprendre à vérifier l'information.
Le Monde Article de Delphine Roucaute
" Le Monde " s'engage dans l'éducation à l'information
Nos journalistes proposent des interventions dans les
collèges et les lycées, à partir de contenus pédagogiques
destinés aux lecteurs
En parallèle du Décodex, ce guide créé par l'équipe des
Décodeurs qui permet de vérifier la fiabilité d'un site Internet, s'est
développé un projet qui a très vite fusionné avec lui. Car ils sont
tous les deux nés d'une même nécessité : rendre le flux d'informations
continu plus lisible et plus compréhensible, notamment pour nos jeunes
lecteurs. Pour ce faire, Le Monde a décidé de s'engager dans une
démarche d'éducation à l'information, à destination des collégiens et
des lycéens, par le biais d'interventions en classe et par la mise à
disposition, sur son site Internet, de contenus pédagogiques.
Ce projet est né d'un constat : toutes les démarchesde
pédagogie que nous lançons au quotidien à travers nos articles ou par
l'intermédiaire d'opérations plus ponctuelles comme le Décodex sont
essentielles. Mais nos articles ne s'adresseront jamais qu'à nos
lecteurs ou – du moins – à des personnes qui ont l'habitude de
s'informer. Alors, comment donner au plus grand nombre les clés de
compréhension pour -naviguer dans l'océan de l'offre médiatique ?
La question est d'autant plus grave à une époque où tant de
fausses informations, rumeurs et autres complots sont diffusés à grande
échelle sur les réseaux sociaux, ces plates-formes d'échanges devenues
médias, et où les recommandations de nos contacts valent hiérarchie de
l'information.
A tel point que Facebook a été accusé d'avoir influencé
l'issue de l'élection américaine de novembre 2016, en laissant
proliférer les fausses informations. C'est à cette occasion que s'est
popularisée l'expression " fake news ", qui désigne les informations
volontairement trompeuses empruntant les codes et la présentation de la
presse traditionnelle. Un ennemi difficile à combattre, puisqu'une
analyse ne sera jamais autant diffusée que le mensonge d'origine.
Au-delà de notre travail quotidien de journalistes,il nous a
semblé essentiel de revenir à la base du problème, et d'expliquer aux
adolescents, particulièrement vulnérables aux fausses nouvelles, ce
qu'est une information, pour qu'ils apprennent à adopter, pour
eux-mêmes, des réflexes journalistiques. Ceux que tout le monde devrait
avoir en tête quand il lit, écoute ou regarde un document. Ce que je
lis, est-ce une information, une opinion, une rumeur ? D'où vient-elle
? Est-ce du discours rapporté ? Cette image que je vois, de quand
date-t-elle ? A-t-elle déjà été utilisée dans un autre contexte ? Etc.
Lecture critique et distanciée
Pour toutes ces raisons, Le Monde a décidé de s'engager dans
l'éducation à l'information. Notre objectif est de participer à
l'effort- -déployé par l'éducation nationale depuis la rentrée 2016 et
de donner aux élèves les clés pour une lecture critique et distanciée
de ce qu'ils lisent ou consultent tous les jours à la télévision ou sur
leur smartphone via Facebook, -Twitter, Snapchat et autres réseaux
sociaux.
En complément du Décodex lancé jeudi 1er février sur
Lemonde.fr, nos journalistes ont mis à disposition des internautes une
série de fiches pédagogiques destinées à guider leur lecture au
quotidien.
Nous expliquons notamment pourquoi il est important de
vérifier une information avant de la partager, la manière dont on peut
juger la fiabilité d'un site ou vérifier une rumeur qui circule sur les
réseaux sociaux. Des vidéos déclinant ces thématiques sont également en
ligne et peuvent servir de support aux enseignants pour leurs cours. En
outre, nous avons développé un kit pédagogique à destination des
professeurs, qui comprend des exercices pratiques.
Pour tenter de répondre un peu plus à la demande des
enseignants, un groupe de journalistes volontaires s'est constitué au
Monde, prêt à aller faire des interventions en classe, sur la base de
ces contenus, et pour expliquer leur métier, dans une tentative de
démystifier toujours un peu plus les idées qu'on se fait d'une
-profession si visible et si peu connue à la fois.
D'ici à la fin de l'année scolaire 2016-2017, nous tâcherons
d'intervenir dans différents établissements, aussi bien généraux que
professionnels, de la 6e à la terminale. Cette première phase
exploratoire nous permettra, grâce aux retours des élèves et des
professeurs, de proposer un projet pédagogique plus ambitieux pour la
rentrée de septembre 2017.
Aussi, nous lançons un appel aux enseignants intéressés par
cette démarche et les invitons à nous contacter pour organiser une
rencontre avec leur classe avant le début du mois de juillet.
Delphine Roucaute
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