Quartiers-tremplins ou l'intégration réussie
|
|
Article Le Monde 13 février 2017 par Alain Constant
A Istanbul, Londres, Berlin… Doug Saunders s'est penché sur les conditions de vie des migrants dans leurs pays d'accueil
Journaliste
canadien, Doug Saunders est spécialiste des migrations. Il enquête
depuis de longues années sur les conditions d'accueil des nouveaux
migrants. Auteur en 2012 d'un livre éclairant (Du village à la
ville, comment les migrants changent le monde, éd. du Seuil), Saunders
a développé le concept de quartier-tremplin, dont le premier critère
est d'offrir aux nouveaux arrivants des loyers abordables.
A l'heure où
l'Europe est confrontée à une vague migratoire conséquente, ce
documentaire décortique plusieurs cas de figure à Istanbul, Londres,
Berlin, Evry et Amsterdam. Au fil de ses rencontres, Saunders défend la
thèse qu'il a développée dans son livre : l'immigration peut être
bénéfique pour l'Europe comme pour le nouvel arrivant, à condition que
ce dernier puisse s'impliquer rapidement dans la vie économique de son
pays d'accueil. D'où l'importance de l'accès à la formation, aux droits
civiques et la possibilité de trouver un logement décent.
Dans les années
1960, Istanbul comptait environ 900 000 habitants. Aujourd'hui, ils
sont douze millions à vivre dans la mégapole turque. L'arrivée massive
de paysans en provenance d'Anatolie a constitué une immigration
intérieure qui ne s'est pas faite sans problème. Mais en recréant un
réseau de solidarité villageois au cœur d'un quartier déshérité
désormais convoité par les promoteurs, les paysans d'hier sont devenus,
en l'espace d'une génération, une petite classe moyenne intégrée à
l'économie de la ville.
Premier point de chute
Maintenant
tendance, avec ses bourgeois plus ou moins bohèmes investissant Brick
Lane et ses alentours, le quartier de Tower Hamlets, à Londres, a
longtemps été un coupe-gorge et le premier point de chute de vagues
d'immigration successives. Depuis les années 1960, le quartier a
été investi par les Bangladais et les Pakistanais. Leur arrivée a
coïncidé avec la disparition des industries. Jusqu'au milieu des années
1990, le quartier était montré du doigt pour son taux de criminalité
élevé et sa saleté. Mais au fil du temps, les communautés se sont
battues pour avoir accès à des logements corrects. Les pouvoirs publics
ont réhabilité des infrastructures. Aujourd'hui, les jeunes de
troisième ou quatrième génération se sentent partie intégrante de la
société britannique. Ici, le quartier-tremplin a parfaitement joué son
rôle. " L'immigration fonctionne quand les immigrés deviennent acteurs
de la vie économique et profitent pleinement du système éducatif.
Lorsque ces facteurs sont réunis, leur culture n'est plus un problème.
Une culture qui était considérée comme menaçante lorsque les gens
étaient exclus ou rejetés à la marge devient soudain un élément un peu
exotique du tissu social ", estime Saunders.
Autre
quartier-tremplin à avoir joué son rôle intégrateur : Kreuzberg, au
cœur de Berlin, où les Turcs sont arrivés massivement dans les années
1970. Mais aujourd'hui, avec la spéculation immobilière, Kreuzberg
devient trop cher pour les nouveaux arrivants. Le cas d'Evry (Essonne)
et son quartier des Pyramides reste délicat à gérer, car " en France,
les gens issus de l'immigration sont souvent exclus du monde du travail
". Alors qu'à Slotervaart, quartier excentré d'Amsterdam et autrefois
considéré comme un trou mal famé, la ville a entrepris de modifier ce
secteur en profondeur. Les nombreuses personnes originaires du Maroc
installées à Slotervaart vivent mieux. Là encore, le quartier-tremplin
semble tenir ses promesses.
Alain Constant
haut de page