COP23 : contradictions américaines sur le climat
Le Monde 7 novembre 2017 Simon Roger
Les petits Etats insulaires défendent l'application rapide des mesures de l'accord de Paris
La
Conférence des Nations unies sur le climat (COP), qui débute lundi
6 novembre à Bonn, en Allemagne, sera le premier rendez-vous de
cette nature présidé par un petit Etat insulaire, les Fidji, mais aussi
la première COP du mandat de Donald Trump. Et cette autre singularité
risque fort d'occulter la précédente.
Si les îles Fidji
doivent être confirmées, lundi, en assemblée plénière, comme nouveau
chef d'orchestre des négociations pour les douze mois à venir,
l'archipel du Pacifique sait déjà qu'il devra gérer les fausses notes
de l'un de ses premiers solistes, les Etats-Unis.
Depuis le 1er
juin, date de l'annonce américaine de retrait de l'accord de Paris
(COP21) – conclu fin 2015 pour contenir le réchauffement sous le seuil
des 2 0C et ratifié à ce jour par près de 170 capitales, dont
Washington –, les Etats-Unis jouent les trouble-fête. Un pied dedans,
puisque le texte de la COP21 les maintient dans ce cadre multilatéral
jusqu'en novembre 2020 ; un pied dehors, puisque M. Trump
ne manque aucune occasion de rappeler que cet accord est un mauvais
coup porté à son pays.
Provocations
Un discours
difficilement audible pour les délégués, réunis jusqu'au 17
novembre dans la cité rhénane où siège la convention climat de l'ONU
(les Fidji n'étant pas en mesure d'accueillir les 19 000 participants
de la COP23), d'autant qu'il émane du deuxième plus gros émetteur de
gaz à effet de serre, derrière la Chine.
" Le régime Trump doit
vraiment rester à l'écart - des débats - et ne pas prendre le reste du
monde en otage du fait de l'incompétence du président ", estime Ian
Fry, le représentant des Tuvalu, un autre petit Etat insulaire menacé
par la montée des eaux et les événements extrêmes. Marquée par la
violence de plusieurs super-ouragans, de longs épisodes de sécheresse
et de fortes inondations, l'année 2017 sera probablement, selon le
programme de l'ONU pour l'environnement, " une année record en termes
de coût humain, social et économique des catastrophes naturelles ".
" Nous affrontons une
situation dans laquelle un seul événement qui frapperait directement
les Fidji serait susceptible d'annihiler des années de développement et
nous ferait repartir des dizaines d'années en arrière ", dit Frank
Bainimarama, le premier ministre fidjien, qui devrait exhorter la
communauté internationale à accélérer la mise en œuvre de l'accord de
Paris.
Face à ce dérèglement "
effroyablement réel ", selon le responsable fidjien, les couplets
climatosceptiques de Scott Pruitt, le patron de l'Agence américaine de
protection de l'environnement (EPA), résonnent comme des provocations
pour les pays les plus vulnérables. Washington l'a sans doute senti en
confiant la tête de la délégation au sous-secrétaire d'Etat Thomas
Shannon, qui avait précédemment travaillé dans l'administration Obama.
" C'est un diplomate très aguerri, pas du tout climatosceptique, assure
-Alden Meyer, de l'ONG américaine Union of Concerned Scientists. Mais
pour autant, il vient à Bonn pour exposer la position officielle des
Etats-Unis. "
M. Shannon conduit l'une
des délégations américaines les plus modestes de toute l'histoire des
négociations climatiques, réduite à 48 membres, quand le Canada envoie
une équipe de 163 personnes et que la France compte 173 membres dans
ses rangs. " Les Américains devraient adopter une attitude constructive
à Bonn ", retient surtoutla délégation française. Les premières tables
rondes de la COP23, organisées les 4 et 5 novembre, confirment
cet -effort d'apaisement.
" L'autre voix de l'Amérique "
Les négociateurs
américains continuent par exemple de coprésider, avec la Chine, le
groupe de travail consacré aux règles de transparence que devront
appliquer les pays parties prenantes de l'accord de Paris. " Sur ces
sujets assez techniques, le mécanisme de transparence ou la définition
du bilan mondial - qui s'imposera aux pays tous les cinq ans - , les
Etats-Unis font profil bas, analyse Lucile Dufour, du Réseau Action
Climat. Ils savent que les points les plus durs, comme la question des
financements climat, seront surtout discutés lors de la deuxième
semaine de Conférence. "
Le week-end de
transition entre ces deux séquences de négociations devrait contribuer
à la politisation des débats, là encore autour des contradictions des
Etats-Unis. Les chefs de file de We Are Still In prévoient d'occuper
l'espace avec une coalition de près de 2 500 acteurs américains (Etats,
villes, entreprises, investisseurs, universités), qui a été créée en
réaction à l'annonce du retrait afin de respecter " l'engagement
continu des Etats-Unis pour une action ambitieuse sur le changement
climatique, malgré l'absence d'engagement au niveau fédéral ".
Au total, quatre
gouverneurs, une vingtaine de maires et de nombreux patrons américains
devraient faire le déplacement, selon Alden Meyer : " C'est l'autre
voix de l'Amérique, de ceux qui ont compris que le réchauffement était
une énorme menace pour notre sécurité mais aussi une formidable
opportunité économique, portée par l'essor des énergies renouvelables
", assure le militant.
Ainsi l'ex-maire de New
York Michael Bloomberg et le gouverneur de Californie, Jerry Brown,
tous deux très engagés dans l'action pour le climat, sont attendus
samedi à Bonn. Ils expliqueront comment cette vaste coalition compte
réaliser l'objectif de réduction de 26 % à 28 % des
émissions polluantes d'ici à 2025, promise par l'administration Obama
puis dénoncée par son successeur. M. Bloomberg aurait aussi apporté,
avec l'activiste Tom Steyer, les 200 000 dollars (172 000
euros) nécessaires au financement du pavillon américain de la COP23
dont les coûts étaient, jusqu'alors, supportés par le département
d'Etat.
" Au plan national,
Trump cède le leadership aux acteurs de terrain, conclut Pierre Cannet,
du WWF, mais qui va assumer le leadership international laissé vacant
par Washington ? " Une alliance pourrait voir le jour entre le Canada,
la Chine et l'Union européenne, avance la délégation française. La
chancelière Angela Merkel et le président Emmanuel Macron, attendus le
15 novembre à Bonn, en préciseront peut-être les contours.
Simon Roger