Des légumes bio du potager à la cantine  

La commune de Mouans-Sartoux, près de Cannes, produit ses propres fruits et légumes pour nourrir ses écoliers en 100 % bio. Pour parer au surcoût, ils ont réduit drastiquement le gaspillage.

LE MONDE | Par 

Fruits coupés en quartiers, portions à la demande, possibilité de goûter puis de se resservir... ces initiatives ont permis de réduire le gaspillage.

Il est 9 heures du matin, et une lumière dorée nimbe les champs du domaine de Haute-Combe, à quelques pas du centre-ville de Mouans-Sartoux, dans les Alpes-Maritimes. Sébastien Jourde ausculte les plants de tomates, les dernières figues, l’avancée des choux-fleurs et des blettes. Les six hectares qu’il cultive en rotation, dont une partie vient d’être plantée en engrais verts (féverole, luzerne, phacélie, pour protéger et nourrir les sols durant l’hiver), sont parsemés d’oliviers, d’arbres fruitiers et de lauriers.

Là une petite pépinière, là-bas un ancien pressoir, des murets de pierre sèche, des restanques pleines d’herbes folles, et, dominant les terrains foisonnants, une ancienne bastide où vit l’agriculteur avec sa famille et où sont aussi entreposés les outils, quelques tonnes de courges et, dans une chambre froide, des caisses de pommes de terre, d’aubergines, d’oignons et de poivrons fraîchement récoltés.

« Combat écolo et humaniste »

Autant de denrées cultivées en bio, sans aucun intrant chimique, qui nourriront bientôt près d’un millier d’enfants. Car c’est ici qu’est produite la quasi-totalité des légumes qui approvisionnent les écoles primaires et les crèches de Mouans-Sartoux. « Je suis producteur, mais je ne vends rien, sourit Sébastien Jourde, qui a un statut de fonctionnaire. Tout ce que nous cultivons ici, sans exception et sans aucune perte, est utilisé, cuisiné et consommé dans les cantines. »

Depuis janvier 2012, cette petite ville azuréenne, perchée sur les hauteurs de Cannes, nourrit ses écoliers en 100 % bio, soit plus de 1 000 repas par jour, sans surcoût. C’est l’une des seules communes de France de plus de 10 000 habitants, avec Grande-Synthe, dans le Nord, à avoir réussi cet « exploit ».

A Mouans-Sartoux, la fibre verte est née avec le maire historique de la commune, André Aschieri, à sa tête de 1974 à 2015. « Les cantines 100 % bio et local, cela s’inscrit dans une vision globale, raconte Gilles Pérole, adjoint au maire depuis 1995. Dès le début de son mandat, le maire a porté un combat écolo et humaniste. Au moment de la crise de la vache folle, nous avons décidé d’introduire le bœuf biologique dans les cantines, nous ne l’avons jamais retiré, et nous sommes allés toujours plus loin. »

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Réduire le gaspillage

Suivant les directives du Plan national nutrition santé, la mairie mouansoise applique la règle des « cinq fruits et légumes par jour », diminue les dosages de sel et de sucre, bannit les sauces industrielles, remplace les farines blanches par des céréales semi-complètes.

« Mais qui dit plus de légumes et de céréales, dit plus de pesticides. L’équilibre alimentaire ne suffisait pas, il fallait qu’on se tourne vers des produits plus sains, vers une restauration respectueuse de la santé et de l’environnement. On s’est donné pour objectif : 100 % bio, le plus vite possible et à coût constant », explique M. Pérole. La conversion a pris quatre ans.

Pour parer au surcoût du bio, qui représente 20 à 30 centimes par repas scolaire, la solution était simple : réduire le gaspillage.

« En 2010, nous étions dans la moyenne nationale, avec 147 g de pertes pour chaque repas de 450 g, se souvient l’élu. C’est une proportion affolante que l’on retrouve partout, en restauration collective, dans la grande distribution, dans les foyers… Un tiers de la nourriture part à la poubelle ! Nous ne supportions plus l’idée de ce gâchis, surtout quand les aliments étaient bio, bien sourcés et bien cuisinés. »

Des portions à la demande

Gilles Pérole et ses équipes repensent alors tout le fonctionnement du réfectoire. Portions à la demande, possibilité de goûter puis de se resservir, fruits coupés en quartiers, tri des déchets effectué par les enfants, pesée de ces déchets pour évaluer ce qui a plu et moins plu, les cantines de Mouans-Sartoux ne jettent désormais plus que 30 g par repas, soit une économie de 20 centimes par tête. Objectif atteint.

Restait la question de l’approvisionnement local. A défaut de trouver des agriculteurs biologiques dans les environs capables de répondre à ses besoins, la municipalité décide de produire elle-même ses légumes, en créant une « régie agricole ». Une première en France.

Elle préempte le magnifique domaine de Haute-Combe, l’extrayant des griffes d’un promoteur immobilier, le reclasse inconstructible, installe un agriculteur et commence à planter des poireaux.

Pour Sébastien Jourde, le paysan-fonctionnaire, c’est une situation rêvée : « Je ne m’inquiète pas de savoir si je vais vendre ou non, je travaille en direct avec les cuisiniers qui me disent ce dont ils ont besoin et combien, tout en leur proposant des choses nouvelles… Aujourd’hui, on cultive près de quarante espèces différentes de légumes, et divers fruits. Et puis je vais souvent manger à la cantine, parce que c’est bon, et cela me permet de voir ce qui plaît aux enfants… »

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Des cœurs de bœuf mûres et juteuses

De fait, ce jour-là, à la cantine de l’école Aimé-Legall (500 élèves de maternelle et d’élémentaire), les enfants ont l’air ravis. « Le bio, c’est bon, atteste Evan, 9 ans. C’est bon au goût et c’est bon pour nous. » On m’assure qu’il n’a pas appris de discours à l’avance. Tout le monde mange avec appétit.

Au menu : salade de tomates fraîches, sauté de porc aux légumes, boulgour, fromage, poire. Simple, mais plein de goût. Quelques heures auparavant, on a croisé, dans les cuisines, le second en commande, Frédéric Apers, affairé devant une montagne de tomates, des vraies « cœurs de bœuf » bien mûres, juteuses, pas du tout calibrées. La plupart n’auraient jamais été retenues dans les rayons des supermarchés. Après avoir été détaillées, elles ont été marinées avec un peu de sel et de vinaigre, « pour leur donner tout leur goût ».

« On travaille de beaux produits bruts et frais, en direct du potager, affirme le cuisinier. On apprend à mieux les traiter, mieux les cuire, mieux les assaisonner. On ne jette rien. Cela nous demande certes plus de travail, mais c’est aussi plus inspirant et valorisant pour nous. »

Aux fourneaux, ses collègues ont fait revenir des kilos de courgettes et d’aubergines taillées en dés pour la sauce de la viande, du porc bio de Corrèze. « Cela fait neuf ans que je travaille ici, poursuit M. Apers. Cuisiner bio a changé ma vie, ma façon de manger et même de penser. »

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Diplôme universitaire et jardin pédagogique

D’après des enquêtes menées auprès des parents, l’aventure a aussi transformé les familles : « 85 % des parents d’élèves ont affirmé avoir modifié leurs pratiques alimentaires à la maison », assure M. Pérole, qui porte le projet avec une énergie et une conviction sans faille. « Entre 2013 et 2016, on est passé de 6 % à 13 % de familles qui consomment 100 % bio, et beaucoup ont désormais choisi de faire leurs courses à l’épicerie bio en vrac plutôt qu’au supermarché. »

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Le nouveau maire de Mouans-Sartoux, Pierre Aschieri, qui n’est autre que le fils de l’ancien premier magistrat de la ville, entend bien creuser les sillons déjà tracés. « Nous voulons montrer qu’on peut avoir la qualité, le goût, le plaisir et la santé sans que cela coûte plus cher, dans les cantines et partout ailleurs », résume-t-il.

Son nouveau chantier : un diplôme universitaire « chef de projet en alimentation durable » (monté avec l’université Nice-Côte d’Azur), qui accompagne les collectivités territoriales dans la mise en œuvre de transitions comparables à celle de Mouans-Sartoux. La formation, qui démarre en janvier 2018, se déroulera sur le site de Haute-Combe.

Bientôt, un jardin pédagogique sera également planté pour que les écoliers, qui viennent déjà régulièrement voir les cultures et les légumes qu’ils vont manger, puissent littéralement y faire des « classes vertes », jardiner, cuisiner et apprendre la vie en pleine nature pendant plusieurs jours. Un rêve d’enfant.


A savoir

L’association Née en 2002, Un Plus Bio œuvre à développer le « manger bio » dans la restauration collective, en soutenant une éthique globale de développement durable qui implique tous les acteurs du repas – cuisiniers, producteurs, transformateurs, éducateurs, gestionnaires, chefs d’établissement… L’association propose diverses formations et programmes de recherche sur l’alimentation. Elle a créé, en 2013, le Club des territoires Un Plus Bio, réseau national de collectivités engagées dans le changement des pratiques alimentaires en restauration collective, et a inauguré en 2016 les premières « Victoires des cantines rebelles », qui distinguent des projets exemplaires autour de la restauration collective « bio, saine, locale et juste ». La deuxième édition se déroulera le 15  novembre. Unplusbio.org. Conseil de lecture : Quand les cantines se rebellent, de Julien Claudel et Stéphane Veyrat (Court Circuit, 2015).

La campagne « Des Cantines bio, j’en veux », lancée en septembre par l’ONG Agir pour l’environnement, la fédération des parents d’élèves FCPE, la Fédération nationale 
d’agriculture biologique et la Ligue de l’enseignement, cette campagne dénonce le fait que moins de 3 % des aliments servis dans les cantines scolaires soient bio, et invite les parents à interpeller les responsables, pour réclamer plus de bio, sur le site : 
Cantinesbio.agirpourlenvironnement.org/

Le diplôme universitaire Pour devenir chef de projet en alimentation durable, option collectivité territoriale, une formation en cinq phases sur six mois (approches théoriques, diagnostic du territoire, accompagnement et finalisation du projet alimentaire) est ouverte à l’université Nice-Côte d’Azur. Inscriptions jusqu’au 31 octobre. Informations : Univ-cotedazur.fr/


En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/m-gastronomie/article/2017/10/12/je-prefere-manger-a-la-cantine_5199686_4497540.html#1If1OFZg8OUJbJ2d.99