A Hambourg, les hackeurs refont le monde



Le Monde 3 janvier 2017
Le Chaos Computer Club a rassemblé 12 000 personnes

" Il n'y a pas de contraste plus grand entre le slogan de cette année “Works for Me” - “Ça fonctionne pour moi” - et mes sentiments sur le monde qui m'entoure. Rien ne semble y fonctionner, et il y a plein de bugs à signaler. (…) Les douze mois qui viennent de s'écouler nous ont fourni beaucoup de raisons d'être sombres, et d'espérer un nouveau monde ", lance Elisa Lindinger, d'Open Knowledge Foundation, lors de la conférence d'ouverture.

" C'est à nous de quitter notre communauté fermée et d'apporter ce que nous faisons ici, au congrès, à l'extérieur. Nous ne pouvons pas nous cacher sous une couverture et attendre que, par magie, le monde aille mieux. Maintenant, plus que jamais, il faut passer à l'action ", affirme aussi, toujours lors de la conférence d'ouverture, Anna Biselli, du site d'information allemand Netzpolitik.

A voir le programme des plus de 140  conférences programmées sur trois jours, les hackeurs ont en effet bien des choses à dire à la société : sur l'élection américaine, la guerre en Syrie, la sécurité des voitures connectées, les pouvoirs de l'Etat sur Internet, les données personnelles, la liberté d'expression en ligne.

Qui mieux que l'icône par excellence de ces hackeurs, Edward Snowden, l'ancien membre du renseignement américain qui a confié à des journalistes des milliers de documents révélant un vaste système de surveillance d'Internet, pour galvaniser ces troupes ? Il était justement de la partie, intervenant comme à son habitude par vidéoconférence : " Si on veut rendre l'Internet plus sûr, nos sociétés plus libres et plus ouvertes, si on veut que les générations futures profitent des droits pour lesquels nos ancêtres sont morts, vous allez devoir faire quelque chose. Ce sera peut-être écrire du code, créer un outil, lancer un nouveau service ! "

Politique et soudure
Son intervention lui a valu deux longues standing ovations. Une autre a été réservée à Vanessa, une réfugiée philippine qui a accueilli le lanceur d'alerte américain lorsqu'il a tenté de fuir Hongkong vers l'Amérique du Sud. Pendant quelques jours, alors qu'il était l'homme le plus recherché du monde, Vanessa et plusieurs autres familles de réfugiés l'ont reçu et caché chez eux.

Cet épisode, l'un des moins connus des pérégrinations d'Edward Snowden, a été révélé récemment lors de la sortie de Snowden, le film biographique d'Oliver Stone. Ces réfugiés, dans une situation extrêmement précaire, interdits de travail, harcelés par le gouvernement hongkongais, risquant l'expulsion et pour certains apatrides, " ont vu Snowden comme l'un des leurs ", a expliqué Robert Tibbo, l'avocat hongkongais de ces réfugiés et d'Edward Snowden.

" Il est resté chez moi tant qu'il a eu besoin d'aide. Quand je suis allée lui chercher le journal, j'étais choquée, l'homme qui était chez moi en faisait la “une”. C'était en fait l'homme le plus recherché du monde. Ce type était chez moi ! ", se remémore Vanessa, par vidéoconférence depuis Hongkong, lors de l'un des moments les plus émouvants du 33e  CCC.

Au premier regard, le CCC ressemble davantage à une foire excentrique qu'à une réunion de hackeurs politisés : ateliers de soudure, d'ouverture de cadenas, néons, statues extravagantes et expérimentations diverses pullulent dans les couloirs.

Pourtant, les sujets abordés sont au cœur de l'actualité. Deux chercheurs ont tenté de savoir si l'élection américaine avait été piratée (ce n'est pas le cas, mais celle de 2020 pourrait bien l'être). Un expert des programmes malveillants a présenté ses trouvailles sur " APT28 ", le groupe de pirates soupçonné d'être lié à la Russie qui a justement piraté le Parti démocrate américain.

Il a aussi été question du " diesel gate ". En 2015, juste avant le précédent CCC, on avait appris que Volkswagen avait truqué les logiciels de ses voitures pour fausser les contrôles de pollution. Felix Domke, un hackeur qui a disséqué les logiciels de Volkswagen, est venu présenter ses conclusions et a défendu une plus grande transparence des programmes informatiques qui équipent de plus en plus d'objets du quotidien : " Les mécanismes de contrôle des émissions sont des boîtes noires. Les fabricants les ont conçus comme ça, et les gens semblent d'accord. Mais les boîtes noires peuvent tuer des gens, et un système qui peut tuer des gens doit être évalué par le public. "

Il a également été question de savoir si le libéralisme politique était adapté aux grandes révolutions technologiques, si les géants du Net étaient les nouveaux gardiens de la moralité, comment les préjugés racistes et sexistes se transmettent aux intelligences artificielles, quel était le coût économique de la censure ou comment mieux protéger les ONG contre les piratages étatiques.

Les participants au CCC auront aussi appris comment déjouer les dernières avancées techniques en matière de reconnaissance faciale, que les compteurs électriques ne sont pas aussi sûrs qu'il y paraît, entendu le concepteur du système informatique qui dirige les drones en Afghanistan ou compris comment des milliers d'images des exactions en Syrie sont préservées et analysées.

Il y eut cependant des absences notables, lors de ce 33e CCC, illustrant deux sujets qui ont divisé la communauté des hackeurs ces derniers mois. Pour la première fois depuis des années, pas une seule conférence ne sera consacrée à TOR, le logiciel d'anonymisation et de contournement de la censure. Plus qu'un simple logiciel, TOR est un symbole de la lutte contre la surveillance et de la croyance en un Internet libre, affranchi du contrôle des Etats, proche de la mythologie fondatrice du mouvement hackeur.

C'est aussi un des outils antisurveillance les plus robustes, et celles et ceux qui y travaillent sont des habitués du CCC. L'un des piliers de l'équipe du logiciel et une des principales figures de la communauté des hackeurs, Jacob Appelbaum, a fait l'objet d'accusations de harcèlement sexuel, qu'il nie. Il a démissionné de TOR avant qu'une enquête interne ne confirme les allégations dont il fait l'objet. Par crainte de débordement, l'équipe du CCC n'a programmé aucune conférence portant sur TOR. Pas une seule conférence n'a non plus évoqué directement la question de WikiLeaks, dont le rôle dans l'élection présidentielle américaine de novembre a également divisé les hackeurs.

Martin Untersinger



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