Pourquoi les enfants de l’immigration
vont-ils davantage en prison ?
Les
personnes issues de l’immigration et les musulmans sont surreprésentés
dans les prisons. Enquête du « Monde » à l’occasion de la sortie du
livre du sociologue Farhad Khosrokhavar, « Prisons de France ».
LE MONDE 20.10.2016 Par Jean-Baptiste Jacquin C’est
un sujet tabou. Les personnes issues de l’immigration sont
surreprésentées dans les prisons françaises. Mais en l’absence de
statistiques ethniques, le sujet ne peut pas exister autrement
qu’instrumentalisé par les uns ou tu par les autres.
Personne
ne conteste le phénomène, qui est ancien et n’est pas propre à la
France. Mais l’aborder et l’étudier pour en comprendre les causes est
mission impossible pour les chercheurs, alors qu’ils peuvent le faire,
par exemple, au sujet des Noirs dans les prisons américaines.
Est-ce
la simple conséquence de conditions sociales, le produit d’un système
judiciaire qui serait discriminatoire ? Est-ce, pour reprendre les
théories d’un Eric Zemmour, le résultat d’une plus grande propension à
la délinquance chez les personnes d’origine étrangère ?
Ce
sujet ultra sensible revient avec force dans le débat dans le contexte
de la lutte antiterroriste. Le prosélytisme islamiste en prison est
devenu une préoccupation majeure. S’adressant, le 6 octobre à Agen,
devant la dernière promotion de surveillants de l’Ecole nationale
d’administration pénitentiaire, le premier ministre, Manuel Valls, a
souligné que la « situation rend indispensable l’évolution de [leurs]
métiers, d’abord en matière de lutte contre la radicalisation ».
« Sévérité accrue des décisions de justice »
Plusieurs
des terroristes qui ont ensanglanté la France depuis janvier 2015
avaient en commun un passage en détention. Et certaines des violences
perpétrées ces dernières semaines dans des établissements
pénitentiaires auraient une motivation islamiste. Le
risque que le discours djihadiste trouve un écho dans le milieu
carcéral apparaît d’autant plus fort que le nombre de détenus
musulmans, issus de l’immigration maghrébine ou subsaharienne, est
important. Dans
son ouvrage (Prisons de France. Violence, radicalisation,
déshumanisation : quand surveillants et détenus parlent, Robert
Laffont, 684 pages, 23,50 euros) paru le 20 octobre, le sociologue
Farhad Khosrokhavar révèle en particulier la place prise par l’islam
dans l’univers carcéral. Ses entretiens menés pendant trois ans dans
quatre prisons, largement retranscrits, donnent une grande force à ce
travail. Sans pouvoir entrer dans le débat du « combien », Le Monde a voulu explorer le « comment » et le « pourquoi ».
Auparavant,
il est à noter que l’accroissement continu de la population pénale
n’est guère lié à l’évolution de la délinquance. Du fait de « la
suppression des lois d’amnistie », pour commencer. Mais également en
raison du « durcissement de la législation pénale depuis de nombreuses
années » qui s’est « accompagné d’une sévérité accrue des décisions de
justice », écrit Jean-Jacques Urvoas dans le rapport (publié le 20
septembre) que, en tant que ministre de la justice, il a consacré à la
surpopulation carcérale.
« Une schizophrénie française »
Côté
chiffres, le débat (ou plutôt la polémique) n’est pas clos. La
proportion de musulmans dans la population carcérale atteint « entre 40
% et 60 % probablement », avance M. Khosrokhavar dans son livre. « Des
chiffres qui ne reposent sur aucun fondement », rétorque Annie Kensey,
démographe, chef du bureau des statistiques et des études à la
direction de l’administration pénitentiaire. « C’est une schizophrénie
française, répond M. Khosrokhavar, on vous interdit de faire des
statistiques, mais quand on avance prudemment une approximation
entourée de tous les conditionnels, on vous affirme que vous avez tort.
Qu’on me le prouve ! » Adeline
Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté, ne
valide pas non plus une telle estimation. Mais elle rappelle cependant
que le directeur de la maison d’arrêt de Fresnes (Val-de-Marne) avait
estimé lui-même en 2015 qu’environ 60 % des détenus étaient de
confession musulmane. A
Fleury-Mérogis (Essonne), la plus grande prison d’Europe, « la
situation est équivalente », affirme-t-elle. « La proportion n’est pas
la même ailleurs en France », précise Mme Hazan, qui reconnaît plus
généralement que « la surreprésentation en détention des populations
issues de l’immigration s’est en outre accentuée avec le doublement de
la population carcérale en trente ans. »
La politique pénale serait socialement discriminante
Seuls
deux chiffres officiels existent. La proportion de détenus de
nationalité étrangère, qui atteint plus de 18 %, contre 6,4 % sur le
territoire national, et le nombre de personnes qui s’inscrivent pour
obtenir un plateau-repas spécial pendant le mois du ramadan. En 2016,
ils ont été 18 630, soit 27,5 % de la population carcérale, à
solliciter ce repas du soir plus copieux. « Un chiffre stable depuis
quelques années », précise Mme Kensey. Cette
population de détenus est surtout présente dans les maisons d’arrêt
(réservées à la détention provisoire et aux peines inférieures à deux
ans) et dans les établissements pour mineurs, où la proportion atteint
29 %. Dans les maisons centrales, ces prisons pour longues peines
réservées aux criminels et au grand banditisme, seuls 14 % des détenus
s’inscrivent pour les repas aménagés pendant le ramadan. Laurent
Mucchielli, sociologue à l’université d’Aix-Marseille, directeur de
recherche au CNRS, avance une première explication de nature politique
: « La délinquance de rue, celle des miséreux, mène en prison ; la
délinquance des riches, comme la fraude fiscale ou l’escroquerie, se
conclut sur des transactions ou des amendes. » Par exemple, en matière
d’évasion fiscale à l’étranger, « la cellule de Bercy ne saisit la
justice que lorsque la négociation avec le délinquant a échoué ». La
politique pénale serait socialement discriminante. La demande sociale,
et donc politique, pour la répression de la délinquance de rue (vols à
l’arraché, cambriolages, violences, petits trafics de stupéfiants,
etc.) est plus forte que pour la répression de la délinquance en col
blanc.
Petite délinquance répétitive
La
volonté d’accélérer la réponse pénale pour les petits délits qui ne
nécessitent pas d’investigation longue s’est traduite par un
durcissement de la justice. Les procureurs, notamment évalués sur leur
capacité à traiter rapidement les affaires, orientent de plus en plus
de dossiers vers les comparutions immédiates et les déferrements en
comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). Or,
ces procédures débouchent le plus souvent sur des peines de prison
(Justice ou précipitation. L’accélération du temps dans les tribunaux,
collectif, Presses universitaires de Rennes, avril 2016, 216 pages, 22
euros). Ce
vendredi 14 octobre à Nanterre, la seizième chambre du tribunal
correctionnel tient, comme tous les jours, l’audience des comparutions
immédiates. Une litanie désespérante de la petite délinquance
répétitive face à laquelle la justice ne sait plus quoi proposer comme
solution, à part envoyer en prison. Karim
A. arrive menotté dans le box après une nuit de garde à vue pour avoir
volé la veille dans un magasin Décathlon, alors qu’il était en état
d’ivresse, deux montres de 35 euros et 20 euros. Etait-ce pour les
revendre afin d’acheter de l’alcool ou du cannabis ? Le président du
tribunal n’obtiendra pas de réponse. Mais le jugement tombe : deux mois
de prison ferme avec un mandat de dépôt, c’est-à-dire qu’il est emmené
directement de la salle d’audience à la prison pour y effectuer sa
peine.
« Désocialisé et pauvre », « issu de l’immigration »
Plus
que les faits pour lesquels cet homme de 35 ans était jugé, son
parcours et son casier judiciaire ont justifié la sanction. En dix-sept
ans, il a été condamné à quinze reprises pour une succession de
violences en état d’ivresse et autres vols, et il a déjà fait plusieurs
séjours en détention. Pour
tenter d’amoindrir la sévérité du glaive de la justice, l’avocate de
permanence en cet après-midi pluvieux invoque, non sans raison
apparente, « la faiblesse des facultés mentales » de cet homme qui vit
avec les 430 euros de son revenu de solidarité acrive (RSA) chez sa
concubine, elle-même sous curatelle. Le
déroulé de cette audience confirme que les critères socio-économiques
de cette petite délinquance sont à l’origine de la surpopulation
carcérale. Sur les sept hommes qui ont comparu ce vendredi, deux ont
vécu une partie importante de leur enfance dans des foyers de l’Aide
sociale à l’enfance faute de cellule familiale stable et un seul a le
bac. Aujourd’hui,
un est sans domicile fixe (SDF) et sans la moindre ressource, un est au
RSA, deux sont au chômage, deux ont des contrats précaires – à durée
déterminée (CDD) et intérim – et un seul a un contrat à durée
indéterminée. Deux sont nés à l’étranger, mais tous sont français.
Quatre sont Noirs (un d’Haïti et trois d’origine africaine) et trois
d’origine maghrébine. Aucun Blanc n’a été traduit en comparution
immédiate ce 14 octobre. « Désocialisé et pauvre » semblerait pouvoir
s’associer, à Nanterre, avec « issu de l’immigration ».
L’échec scolaire et le quartier
«
L’origine n’est pas le facteur explicatif de tel ou tel délit »,
affirme Laurent Mucchielli. Dans l’étude statistique sur 600 jeunes
délinquants qu’il s’apprête à publier, l’universitaire a examiné parmi
les différents critères, la nationalité, le pays de naissance et le
prénom. Trois
facteurs déterminants ressortent : la sphère familiale, l’échec
scolaire et le quartier. « Un adolescent fragile qui habite dans une
cité dégradée aura plus de probabilité de basculer dans la délinquance
», observe-t-il. La
taille des fratries est également un facteur. Marwan Mohammed, chargé
de recherche au Centre Maurice-Halbwachs (Ecole normale supérieure,
Ecole des hautes études en sciences sociales, CNRS), a travaillé sur
les phénomènes de bandes sur plusieurs générations. «
Quand on élimine de l’étude les individus issus de grandes fratries, le
critère de l’origine n’apparaît plus pertinent dans l’appartenance à
une bande », constate-t-il. Or, « ce sont les familles d’immigration
récente qui ont les familles les plus nombreuses », précise-t-il. Cumulé
à de faibles ressources et à l’absence de réseau social, cela est
souvent synonyme d’enfants qui traînent dans la rue, faute d’un
logement adapté, et d’échec scolaire.
Risque de discriminations en amont
Une
étude particulièrement fouillée réalisée en 2000 par l’Insee et
l’administration pénitentiaire sur « l’histoire familiale des hommes
détenus » avait identifié ce déterminant. Le risque d’incarcération
était alors quatre fois plus important pour une personne issue d’une
famille de cinq enfants par rapport à celle n’ayant qu’un frère ou une
sœur. Cette
recherche, qui n’a malheureusement pas été renouvelée faute de crédits,
révélait également que 30 % des personnes incarcérées avaient un père
qui ne leur avait jamais parlé en français pendant leur enfance. A ces
critères socio-économiques vient s’ajouter le risque de discriminations
en amont de la machine judiciaire, sans parler des contrôles au faciès
par les forces de l’ordre déjà largement documentés. Les
contrôles fréquents sont susceptibles de provoquer davantage de
protestations, qui en tant que telles peuvent justifier un renvoi en
comparution immédiate sur des qualifications pénales d’« outrage à
agent » ou de « rébellion », voire de « menaces de mort », comme ce «
fils de putes, je vais vous niquer, je vais tous vous buter avec vos
familles », rapporté vendredi au tribunal de Nanterre.
Automatismes
Sans
instruire de procès d’intention, il est plus facile pour la police, à
délits équivalents, de contrôler ceux qui consomment du cannabis au
pied de leur immeuble que ceux qui le font dans leur appartement où ils
ont la place de recevoir leurs amis. Le
chercheur Patrick Peretti-Watel a ainsi démontré que la population des
personnes interpellées pour usage de cannabis était beaucoup plus
populaire que le profil des consommateurs dessiné par les enquêtes
déclaratives. Ces
discriminations ne sont pas du racisme, mais relèvent d’automatismes,
analyse Marwan Mohammed, qui cite l’exemple d’un observateur d’écrans
de vidéosurveillance obligé de faire des choix : « Si au même moment
deux caméras suivent deux groupes distincts, l’un de jeunes Maghrébins,
l’autre d’étudiants blancs, quelle caméra va-t-il sélectionner ? » La
procédure judiciaire peut ensuite accentuer les inégalités de départ.
Une étude menée par l’université de Nantes sur 7 000 dossiers
correctionnels a démontré que la justice n’opérait pas de
discrimination à raison de la naissance du prévenu. En tout cas, pas
directement. Le
lieu de naissance n’a pas d’impact sur la peine, mais pèse sur le choix
de la procédure. Deux critères ont été ainsi identifiés comme facteurs
de peines plus lourdes. « A délit équivalent, le risque de peine de
prison ferme est huit fois plus lourd pour une personne jugée selon la
procédure de comparution immédiate », explique Claire Saas, désormais
enseignante en sciences criminelles à la faculté Jean-Monnet de Sceaux
(université Paris-Sud).
« Le juge est comme tout le monde, il a ses préjugés »
Pour
un prévenu qui comparaît détenu, le facteur multiplicateur est de cinq.
Or, révèle cette étude, « la probabilité d’une comparution immédiate
est trois fois plus probable » pour une personne née à l’étranger. « Et
la détention provisoire à son encontre est décidée 4,8 fois plus que
pour un prévenu né en France » (La Réponse pénale, dix ans de
traitement des délits, coordonné par Jean Danet, Presses universitaires
de Rennes, 2013). En
fait, les magistrats ont peur, comme avec les SDF, de voir les
personnes nées à l’étranger se soustraire à d’éventuelles convocations
ultérieures. « Le
principal motif de détention provisoire en matière correctionnelle est
le risque de récidive », rappelle le procureur général d’une grande
cour d’appel chargé de faire appliquer la politique pénale. Mais un
magistrat prend cette décision notamment au regard des « garanties de
représentation ». Un critère légal qui recouvre l’existence de liens
familiaux, d’un emploi, d’un logement, etc. Le
magistrat fera davantage confiance à une adresse dans un beau quartier
que dans une cité de banlieue mal famée. « Le juge est comme tout le
monde, il a ses préjugés », remarque Jean-Marie Delarue, qui fut le
premier contrôleur des prisons. Et de relever que « la tchatche des
jeunes des cités est à l’opposé de la culture du juge ». Les
différences sociales et culturelles seraient ainsi un facteur de
recours à la détention provisoire par précaution… qui produit
mécaniquement des peines de prison plus fréquentes et plus longues.
La prison, un moment dans la « carrière »
Ces
peines sont à l’origine du surpeuplement des maisons d’arrêt
d’Ile-de-France, de Toulouse ou Marseille. Celles-là même qui
concentrent les préoccupations liées aux risques de radicalisation
islamiste. La
surreprésentation des jeunes des cités de banlieue dans les maisons
d’arrêt rejoint la question des courtes peines, selon Mme Hazan. Avec
un effet pervers, notamment chez les jeunes qui tirent leurs revenus
des trafics de stupéfiant. « La prison est intégrée comme un risque du
métier, un moment temporaire dans la “carrière” que ces jeunes
reprendront en sortant, s’ils ne la poursuivent pas en détention »,
analyse M. Khosrokhavar. Autre
inégalité devant la justice, la capacité à être bien conseillé ou
défendu. Le système de l’aide juridictionnelle et des avocats commis
d’office est censé garantir un accès égal à tous. Mais parfois, une
défense de qualité ressemble à un objectif théorique. Pour
les comparutions immédiates ou les CRPC, l’avocat commis d’office
rencontre le prévenu, qui ne sera sans doute jamais son « client »,
quelques minutes, ou au mieux deux ou trois heures, avant l’audience.
Jugé sans avocat
Certains
n’ont même pas d’avocat. C’est le cas de trois des sept prévenus passés
devant la seizième chambre de Nanterre. « Je ne sais pas pourquoi mon
avocat n’est pas venu », s’interroge Oumar S., dont l’affaire avait été
renvoyée à ce 14 octobre. Il ne
sait manifestement pas que l’avocat commis d’office pour une garde à
vue ou une comparution immédiate ne le suit pas en cas de renvoi à un
procès ultérieur. C’était à lui de déposer une demande d’aide
juridictionnelle et de choisir un avocat. Lui a-t-on jamais dit, ou
l’a-t-il oublié ? Ce n’est pas l’affaire du tribunal, il est jugé sans
avocat. Une
fois la peine prononcée, la prison devrait être la même pour tous. Or,
certains publics échappent aux possibilités d’aménagement de peine. Jean-Claude
Bouvier, juge d’application des peines (JAP) à Paris, a mené lorsqu’il
était au tribunal de Créteil en 2013 une étude pour comprendre pourquoi
« on ne voit jamais certains détenus aux audiences d’aménagement de
peine ». Quatre-vingts détenus de la prison de Fresnes ont été entendus
ainsi que les conseillers pénitentiaires d’insertion. Sans
surprise, ce sont les condamnés à des peines inférieures à six mois ou
un an qui échappent le plus aux aménagements, compte tenu des délais
d’audiencement devant le JAP. A l’intérieur même de ce groupe, les
personnes précaires, désocialisées et sans famille stable bénéficient
moins d’accompagnement et d’aménagement de peine, en raison de ces «
garanties de représentation » et de leur prisme discriminant.
Cercle vicieux
Le
problème est que les courtes peines n’offrent guère de temps pour
mettre sur pied des projets d’insertion ou pour profiter d’une
formation en détention. Or, ces « sorties sèches » sans aménagement ni
accompagnement sont statistiquement synonymes de risque plus élevé de
récidive. Cela ressemble à un cercle vicieux. Ces
facteurs, l’une des explications de la forte proportion d’étrangers et
de personnes issues de l’immigration en prison, ne sont pas propres à
la France. En Europe, « la proportion d’étrangers en détention est en
moyenne le triple de celle dans la population du pays concerné »,
observe Jean-Marie Delarue. En Allemagne, par exemple, ce taux est de
30 %, selon les derniers chiffres du Conseil de l’Europe. Il atteint 41
% en Belgique. Reste
la question du lien entre population issue de l’immigration et islam.
Il n’est pas automatique. L’expression religieuse en détention est
souvent de nature différente comparée à l’extérieur, comme le démontre
une étude dirigée par Claire de Galembert, chercheure au CNRS,
spécialiste des religions à l’Institut des sciences sociales du
politique (ENS Paris-Saclay). « Le
succès du religieux dans ses versions les plus intensives et
collectives » peut s’expliquer par le besoin d’un « idiome de
substitution », écrit-elle (De la religion en prison, collectif,
Presses universitaires de Rennes, mars 2016, 360 pages, 20 euros). La
religion serait un révélateur de « la vacuité de la peine » et de la
violence que produit la prison.
« L’islam, élément de socialisation »
«
L’islam peut faire partie de l’expression de la révolte en étant un
élément de socialisation en prison : je ne suis ni français ni arabe,
mais je fais partie d’une communauté qui a une identité universelle »,
explique M. Khosrokhavar. Là encore, le sujet recouvre celui des
courtes peines. Au
final, la revendication musulmane en prison résulterait en partie de la
détention elle-même. Elle s’exprime d’autant plus facilement qu’elle
est véhiculée parmi une population jeune, en rupture, et issue de
l’immigration. Mais
à l’origine, il s’agit bien d’une question sociale. « On ethnicise les
choses pour occulter le facteur social », affirme M. Mucchielli, qui a
étudié 489 comparutions immédiates au tribunal de Nice entre 2012 et
2013 (Délinquances, police, justice. Enquêtes à Marseille et en région
PACA, avec Emilie Raquet, Presses universitaires AMU, 2016, 300 pages,
25 euros). « Les
conditions sociales se culturalisent, se confessionnalisent et
s’autonomisent par rapport à leur condition d’émergence », confirme M.
Khosrokhavar. Une remarque qui ne retire rien au problème posé par le
risque de radicalisation en détention. Surtout que, constate-t-il, « en
raison du vide idéologique, il n’y a guère plus que le djihad sur le
marché de la révolte ».
PRISONS DE FRANCE Violence, radicalisation, déshumanisation...
Quand surveillants et détenus parlent Farhad KHOSROKHAVAR
Violence, radicalisation, déshumanisation... Qu'est-ce que la prison dit de notre société ? Cette
enquête exceptionnelle menée dans quatre grandes prisons françaises –
Fleury-Mérogis, Fresnes, Lille-Sequedin et Saint-Maur – dresse un état
des lieux inédit et alarmant du milieu carcéral de notre pays. De la
fouille à la promenade, du mitard à la salle de sport, le quotidien
pénitentiaire est raconté par ceux qui le vivent. Petits délinquants,
dangereux criminels, voyous radicalisés, « fous », surveillants,
médecins, directeurs d'établissements : à tous, l'auteur donne pour la
première fois la parole. Aux
problèmes récurrents de surpopulation, violence, trafics en tout genre
et conditions de vie dégradantes, est venu s'ajouter celui de la
radicalisation. Le sociologue montre comment la prison constitue un
terreau fertile pour les apprentis djihadistes et un vivier de
recrutement pour les plus radicalisés. Analysant
avec finesse et rigueur cet univers habituellement inaccessible, il
livre une réflexion plus que jamais nécessaire sur l'enfermement et ses
conséquences psychiques et sociales.