Partout, les écosystèmes sont menacés, et rien ne semble pouvoir enrayer la tendance
Plus de la moitié des vertébrés ont disparu en quarante ans
LE MONDE 27.10.2016 Est républicain 27.10.2016
Par Audrey Garric
Les populations d’éléphants d’Afrique déclinent en raison de la perte
et de la dégradation de leurs habitats, et du braconnage pour leur
ivoire.
Partout, les écosystèmes sont menacés, et rien ne semble pouvoir enrayer la tendance.
Alors que les pressions humaines sur l’environnement ne cessent de
s’aggraver, plus de la moitié du vivant, parmi les vertébrés, a disparu
ces quarante dernières années. C’est sur ce nouveau constat alarmant
que s’ouvre la onzième édition du rapport « Planète vivante », un vaste
bilan de santé de la Terre et de sa biodiversité, publié jeudi 27
octobre par le Fonds pour la nature (WWF).
L’étude, réalisée tous les deux ans en partenariat avec la société
savante Zoological Society of London et l’ONG Global Footprint Network,
se fonde sur deux indicateurs principaux, tous deux au rouge. Le
premier, l’indice Planète vivante, mesure l’abondance de la
biodiversité à partir du suivi de 14 152 populations (groupes d’animaux
sur un territoire) appartenant à 3 706 espèces vertébrées de
mammifères, d’oiseaux, de reptiles, d’amphibiens et de poissons
répartis aux quatre coins du globe. Les invertébrés, eux, n’ont pas été
étudiés. S’il ne consiste pas en un recensement exhaustif de la vie
sauvage, il indique en revanche l’évolution de ses effectifs au fil du
temps.
Milieux d’eau douce les plus affectés
Clairement, la tendance est à la régression. Les populations de
vertébrés ont ainsi chuté de 58 % entre 1970 et 2012 (dernières données
de terrain disponibles), contre − 52 % dans le précédent rapport. Dans
le détail, les milieux d’eau douce sont les plus affectés, avec un
effondrement de 81 % sur la période, devant les espèces terrestres (−
38 %) et celles marines (− 36 %). Si rien ne change, ces populations
pourraient avoir diminué en moyenne des deux tiers (67 %) d’ici à 2020,
en l’espace d’un demi-siècle seulement. « Ces chiffres matérialisent la
sixième extinction des espèces : une disparition de la vie sur la
planète dont nous sommes en partie responsables », dénonce Pascal
Canfin, le directeur général du WWF France.
L’indice Planète vivante, qui mesure l’abondance de la biodiversité, affiche un déclin de 58 % entre 1970 et 2010.
Les causes de ces reculs sont connues : ils sont imputables, en premier
lieu, à la perte et à la dégradation de l’habitat, sous l’effet de
l’agriculture, de l’exploitation forestière, de l’urbanisation ou de
l’extraction minière. Viennent ensuite la surexploitation des espèces
(chasse, pêche, braconnage), la pollution, les espèces invasives et les
maladies et enfin, de manière plus marginale pour l’instant, le
changement climatique.
L’impact de notre système alimentaire est majeur. « A elle seule,
l’agriculture occupe environ un tiers de la surface terrestre totale,
est la cause de 80 % de la déforestation mondiale et pèse pour près de
70 % de la consommation d’eau, rappelle Arnaud Gauffier, responsable du
programme agriculture du WWF France. Enfin, 30 % de l’empreinte carbone
en France est liée à l’alimentation. »
« Dépassement écologique » de plus en plus précoce
Le second indicateur sur lequel se base le rapport « Planète vivante »
est l’empreinte écologique, qui mesure la pression qu’exerce l’homme
sur la nature. Elle calcule ainsi les surfaces terrestres et maritimes
nécessaires pour produire chaque année les biens et services que nous
consommons (nourriture, combustible, espaces bâtis, etc.) et absorber
les déchets que nous générons (en particulier nos émissions de CO2),
puis les compare à la biocapacité de la Terre, c’est-à-dire la surface
disponible. Ces superficies se mesurent en hectares globaux (hag).
En 2012, l’empreinte écologique de l’humanité atteignait 20,1 milliards
d’hectares globaux, soit 2,8 hag par personne. Elle excédait ainsi
largement (de 61 %) la biocapacité totale de la Terre, qui s’élevait à
12,2 milliards de hag (1,7 hag par personne). Au final, cette année-là,
l’humanité a utilisé l’équivalent de 1,6 planète pour vivre et a donc
entamé son « capital naturel ». La majeure partie (60 %) de cette
surconsommation est imputable aux émissions de CO2, essentiellement
dues à la combustion des énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz
naturel).
Comparaison de l’empreinte écologique globale de l’humanité et la biocapacité totale de la Terre entre 1961 et 2012.
Ce « dépassement écologique », qui intervient depuis le début des
années 1970, est possible car nous coupons des arbres à un rythme
supérieur à celui de leur croissance, nous prélevons plus de poissons
dans les océans qu’il n’en naît chaque année, et nous rejetons
davantage de carbone dans l’atmosphère que les forêts et les océans ne
peuvent en absorber. Or, le « jour du dépassement », la date à laquelle
l’humanité a consommé toutes les ressources que la Terre peut produire
en un an, est chaque année plus précoce : il a eu lieu le 8 août cette
année contre le 14 octobre en 1992 et le 1er novembre en 1986. A ce
rythme, en 2050, avec une population mondiale qui frôlera les 10
milliards d’humains, nous aurons besoin de 2 planètes.
« Le franchissement du seuil de biocapacité de la Terre n’a qu’une
durée limitée, prévient Pascal Canfin. C’est comme un compte en banque
: si tous les ans on puise dans son épargne de plus en plus tôt, sans
la reconstituer, un jour elle aura disparu. » Les retombées de cette
vie à crédit sont d’ores et déjà palpables, comme en témoignent
l’effondrement des pêches, les pertes d’habitats et d’espèces ou encore
l’accumulation du carbone dans l’atmosphère à des niveaux inédits.
Le Luxembourg et l’Australie possèdent la plus forte empreinte
De manière globale, les pays qui exercent la plus grande pression sur
les écosystèmes sont ceux qui émettent le plus de CO2 : la Chine, les
Etats-Unis, l’Inde, la Russie et le Japon. A eux cinq, ils pèsent la
moitié de l’empreinte écologique mondiale.
Mais, ramené par habitant, cet indice donne un classement différent.
Cette fois, ce sont les pays aux revenus les plus élevés qui sont les
plus fautifs. Ainsi, l’empreinte record par tête est détenue par le
Luxembourg (15,8 hag par habitant, soit 9 fois ce que la Terre peut
produire), suivi de l’Australie (9,3 hag), des Etats-Unis et du Canada
(8,2 hag) et de Singapour (8 hag) – sans compter les pays du Golfe,
classés parmi les plus polluants en 2014, mais pour lesquels aucune
donnée n’est disponible dans le rapport 2016. La France se classe à la
28e position, avec 5,1 hag. Le Pakistan, le Bangladesh, Haïti, le Timor
oriental et l’Erythrée possèdent quant à eux l’empreinte la plus
faible, avec environ 0,6 hag par habitant.
Empreinte écologique moyenne par habitant dans chaque pays en 2012.
Une lueur d’espoir, toutefois : l’empreinte écologique par habitant des
pays à haut revenu (ceux de l’Organisation de coopération et de
développement économiques) a légèrement diminué entre 1985 et 2012. Un
déclin qui peut être attribué à des gains de productivité et aux
nouvelles technologies, mais aussi aux effets de la crise économique.
Empreinte écologique moyenne par habitant dans les pays à haut, moyen et bas revenu en 1961, 1985 et 2012.
« Il ne s’agit pas de vivre comme il y a cinquante ans, mais d’inventer
un nouveau modèle », assure Pascal Canfin. Pour cela, le rapport
appelle à préserver le capital naturel, à réorienter les flux
financiers pour notamment valoriser la nature, à instaurer une
gouvernance équitable des ressources et à produire mieux et à consommer
plus raisonnablement. « Si tout le monde réduisait d’une demi-portion
par jour sa consommation de protéines animales, tout en augmentant sa
consommation de légumineuses et de céréales, nous pourrions baisser de
25 % les émissions de gaz à effet de serre liées à l’alimentation,
assure Arnaud Gauffier. C’est à la portée de tous. »