Etat des lieux de la lutte contre la radicalisation en France
Le
rapport de la mission parlementaire sur " le désendoctrinement et la
réinsertion des djihadistes " admet qu'il n'existe pas de " recette
miracle "
C'est un rapport plutôt
compréhensif des tâtonnements initiaux de la politique gouvernementale
de lutte contre la radicalisation que devaient rendre, mercredi
12 juillet, les sénatrices Esther Benbassa (Europe Ecologie-Les
Verts) et Catherine Trœndlé (Les Républicains), chargées de la mission
d'information sur " le désendoctrinement et la réinsertion des
djihadistes en France et en Europe ". Seize mois après le début de
leurs auditions, en mars 2016, elles dressent un panorama bien
plus nuancé que le " bricolage " qu'elles avaient dénoncé en février
dans un rapport d'étape. " Il n'existe pas de recette miracle ",
admettent-elles dès leur préambule de cet étatdes lieux.
Alors que le projet de loi
antiterroriste transposant dans le droit commun des mesures de
sécuritéinspirées de l'état d'urgence sera examiné par le Sénat, le 18
et 19 juillet, la question de la radicalisation est, depuis son
lancement en 2014, un domaine d'action plus hésitant. Plusieurs
associations subventionnées ont été critiquées – voire condamnées –
pour leur gestion financière et les carences de leur prise en charge.
Fin juin, des parents de jeunes partis en Syrie ont même été mis en
examen pour " financement du terrorisme ". Ils sont accusés d'avoir
détourné de l'argent versé par l'Etat pour l'envoyer à leur enfant.
Mmes Benbassa et Trœndlése "
félicitent " ainsi des ajustements faits en cours de route par le
comité interministériel de prévention de la délinquance et de la
radicalisation (CIPDR), chargé de la coordination nationale de tous ces
dispositifs. Plusieurs structures ont vu leur financement revu à la
baisse, voire interrompu, après évaluation de leur travail ou
réorientation du pilotage. Notamment le partenariat avec la pionnière
du sujet, en 2014, l'anthropologue Dounia Bouzar.
Contrairement à ce qui a
longtemps été dit, les rapporteurs notent que le financement de toutes
ces associations est " limité " : autour de 8 millions d'euros de
dotation, en 2015 et 2016, pourune soixantaine de structures,
dont les professionnels de la réinsertion. Le budget total du CIPDR
consacré aux actions de prévention de la radicalisation est de 20
millions d'euros. La moitié va à la sécurisation des sites sensibles
(écoles, lieux de culte) et l'équipement des polices municipales. Le
seul centre de " déradicalisation " français, Pontourny
(Indre-et-Loire), fermé en février faute de pensionnaires, a lui reçu
une dotation initiale de 2,5 millions d'euros.
Alors que quelque 2 600
personnes et 800 familles sont suivies en France par des structures
financées par des fonds publics, le rapport survient malgré tout un peu
à contretemps par rapport au travail effectif du gouvernement. Mmes
Benbassa et Trœndlé formulent dix propositions. Mais pratiquement
toutes sont déjà mises en œuvre ou prêtes à l'être. Selon nos
informations, de nouvelles annonces devraient même être dévoilées d'ici
le mois d'août.
La mission d'information
apporte toutefois une plus une grande transparence sur l'ensemble du
champ d'action de la lutte contre la radicalisation, en
particulier sur le sort des mineurs. Jusqu'à présent, peu d'éléments
avaient été dévoilés, la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ)
étant très frileuse sur le sujet.
Au 1er avril, 58
mineurs avaient ainsi été déférés depuis 2012 devant le pôle
antiterroriste à Paris pour association de malfaiteurs en vue d'une
entreprise terroriste. Neuf ont déjà été jugés. Au 1er août 2016,
ils étaient 110 poursuivis pour " apologie du terrorisme ". Enfin, plus
de 360 étaient pris en charge au 1er juillet 2016, " en
raison d'éléments objectifs et inquiétants pouvant indiquer leur entrée
en processus de radicalisation ". Une population en augmentation, mais
qui ne représente que 2 % du public suivi par la PJJ.
Les chiffres rendus publics
montrent aussi que chez les 39 mineurs mis en examen au 1er
avril, la moitié était incarcérée. L'autre moitié bénéficiait d'un
contrôle judiciaire. Trois ont pu aussi bénéficier d'un dispositif
novateur : " l'appartement éducatif ". Un système permettant le
placement seul dans un logement, avec la présence constante d'un
éducateur assisté d'un thérapeute. Des places ont sinon été " réservées
" dans quinze structures d'accueil, majoritairement des centres
éducatifs fermés, à raison d'un jeune par établissement pour ne pas
créer de " concentration ". Neuf places étaient occupées au 1er
avril.
Très grande discrétion
Le rapport note enfin un
changement important en matière de vocabulaire : l'abandon du terme de
" déradicalisation ". Une expression qui avait déjà commencé à tomber
en désuétude dans les milieux spécialisés, tant elle recoupe des
réalités religieuses, sociologiques et politiques complexes. Pour être
éventuellement efficace, il est désormais considéré qu'une action de "
désendoctrinement " ne doit surtout ne pas être affichée au risque de
perdre immédiatement tout crédit auprès du public visé.
Les dispositifs de droit
commun sont privilégiés : maisons des adolescents, centres
hospitaliers, etc. Une très grande discrétion prévaut aussi pour des
initiatives en milieu scolaire ou en sortie de prison. Même chose en ce
qui concerne le " contre-discours ". Au-delà des campagnes de
sensibilisation officielles comme celle liée à la plate-forme
Stop-djihadisme, nombre d'actions, par exemple dans les lieux de culte,
sont actuellement mises en œuvre sans aucune publicité.
élise Vincent