Les Français mangent mal et se sédentarisent
L'Anses publie sa troisième étude sur les habitudes alimentaires, réalisée tous les sept ans
Dis-moi
ce que tu manges et je te dirai quelle est ta santé. L'Agence nationale
de sécurité sanitaire de l'alimentation (Anses) vient de publier,
mercredi 12 juillet, sa troisième étude sur les habitudes
alimentaires des Français. Réalisée tous les sept ans, elle constitue
la photographie la plus complète du contenu de nos assiettes. En
analysant à la fois les apports nutritionnels bénéfiques et les
expositions à des substances néfastes, l'établissement public cherche à
mieux prévenir les maladies et à améliorer la santé des Français.
" Le
rôle de l'alimentation dans l'augmentation ou la prévention de
certaines maladies comme le cancer, l'obésité ou les maladies
cardiovasculaires est aujourd'hui scientifiquement établi ",
rappelle l'agence, qui a réalisé ce rapport intitulé INCA 3 (étude
individuelle nationale des consommations alimentaires) sous l'égide des
ministères de la santé et de l'agriculture.
Entre
2014 et 2015, elle a recueilli les habitudes alimentaires de 5 800
personnes représentati-ves de la population française (près de 3 100
adultes et 2 700 enfants), à raison d'un, deux ou trois jours chacune,
soit 13 600 journées de consommations et 320 000 aliments analysés. Ses
résultats ont été interprétés par un groupe d'experts (nutritionnistes,
épidémiologistes, toxicologues, microbiologistes).
Sorte
de petite souris dans nos cuisines, le rapport détaille d'abord notre
alimentation quotidienne. Les adultes consomment en moyenne 2,9
kg d'aliments chaque jour, soit environ 2 200 kcal, dont 50 % de
boissons. Les femmes privilégient généralement les yaourts et fromages
blancs, les compotes, la volaille, les soupes et les boissons chaudes,
tandis que les hommes optent plus facilement pour les produits
céréaliers raffinés, les viandes et charcuteries, les pommes de terre,
les fromages, les crèmes dessert et les boissons alcoolisées. Il en
résulte que les hommes mangent plus et que leur apport énergétique est
supérieur de 38 % à celui des femmes.
Trop forte quantité de sel
L'Anses
ne tire pas de conclusion quant aux consommations de sucres et de
graisses, mais avait déjà indiqué lors d'une précédente étude que leur
consommation en forte quantité est néfaste pour la santé.Elle se penche
en revanche sur le sel et les fibres. Les apports en chlorure de sodium
sont estimés à 9 grammes par jour (g/j) chez les hommes et à 7
g/j chez les femmes, soit davantage que l'objectif nutritionnel de
santé publique fixé par le Programme national nutrition santé (8
g/j pour les hommes et 6,5 g/j pour les femmes). En cause : les
pains, les sandwichs, pizzas et pâtisseries salées, les condiments et
sauces, les soupes et les charcuteries.
A
l'opposé, les apports en fibres, contenues dans les fruits et légumes,
les légumineuses et les produits céréaliers, atteignent à peine
20 g/j chez les adultes, bien en deçà des recommandations de
l'Anses (30 g/j). L'agence appelle les professionnels à "
amplifier l'effort de réduction des teneurs en sel des aliments " et à
" augmenter - celles - en fibres ".
Cette
assiette à la note plutôt salée accueille de plus en plus d'aliments
transformés, problématiques sur le plan de la santé. Des sandwichs et
des pizzas, mais aussi des jus de fruits et de légumes, des
pâtisseries, des compotes ou encore des glaces. La majorité sont des
produits industriels, marquant une " complexification de l'alimentation
".
En
parallèle, le nombre de consom-mateurs de compléments alimentaires
(vitamines, minéraux, plantes) a fortement augmenté, passant de
12 % à 19 % chez les enfants et de 20 % à 29 %
chez les adultes entre 2006-2007 et 2014-2015. " Ces produits ne sont
pas nécessaires dans le cadre d'une alimentation équilibrée et peuvent
même se révéler risqués. Il faut être prudents, surtout lorsqu'ils sont
vendus sur Internet ", prévient Jean-Luc Volatier, adjoint au directeur
de l'évaluation des risques de l'Anses et conseiller scientifique pour
l'étude INCA 3.
L'Anses
relève d'autres comportements qui posent de " nouveaux enjeux en termes
de sécurité sanitaire " : des dépassements plus fréquents des dates
limites de consommation, des températures trop élevées dans les
réfrigérateurs (supérieures à 6 °C), une augmentation de la
consommation de denrées autoproduites (chasse, pêche, cueillette et eau
de puits privés) et de protéines animales crues, qui peuvent être
-contaminées par des bactéries, des virus ou des parasites.
" Monter des escaliers "
Les
œufs, viandes, poissons et mollusques non cuits sont aujourd'hui
engloutis par 80 % des Français. La mode des sushis et des
tartares s'est traduite par un doublement du taux de -consommateurs de
poissons crus (de 15 % à 31 % depuis le rapport INCA 2,
publié en 2009) et une hausse de celui de viande de bœuf crue (de
24 % à 30 %).
Ces
nouvelles habitudes alimentaires s'inscrivent dans un contexte peu
propice au maintien en bonne santé : celui d'une activité physique
insuffisante et d'une sédentarité qui progresse de manière " alarmante
". 80 % des adultes sont considérés comme sédentaires, et
71 % des adolescents de 15 à 17 ans. Car depuis sept ans, le
temps moyen passé quotidiennement devant un écran pour les loisirs a
explosé : il a augmenté de 20 minutes chez les enfants, passant de 2 h
45 à 3 h 05, et de 1 h 20 chez les adultes, pour atteindre 4 h 50.
" La
sédentarité est un problème préoccupant : elle joue un rôle dans
l'apparition de certaines pathologies comme le diabète, l'obésité et
les maladies cardiovasculaires, même dans le cas d'individus qui
pratiquent trente minutes d'activité physique par jour, comme nous le
conseillons ", assure Jean-Luc Volatier. Et de préconiser : " Il faut
bouger souvent, se lever, monter des escaliers. " L'Anses recommande de
définir un repère spécifique sur la sédentarité en complément de celui
existant sur l'activité physique.
Privilégier le fait maison
Conséquence
de ces deux ingrédients qui se marient mal : 13 % des enfants et
des adolescents et 34 % des adultes étaient en surpoids en
2014-2015, et respectivement 4 % et 17 % étaient obèses. "
Le seul élément encourageant, c'est que l'obésité s'est stabilisée pour
la première fois depuis dix ans chez l'adulte et l'enfant, marquant
même un infléchissement chez ce dernier ", indique le professeur Serge
Hercberg, président du Programme national nutrition santé, en citant
les premiers résultats de l'étude Esteban – une autre enquête sur
l'état de santé des Français menée par l'agence nationale Santé
publique France.
L'analyse
du poids des Français et de leur alimentation met en évidence de
grandes disparités de sexe, d'âge ou de région. Les adultes de 65 à 79
ans consomment par exemple plus d'aliments faits maison, les hommes de
denrées animales crues, et les habitants des grandes agglomérations de
poissons, confiseries et jus de fruits.
Mais
ce sont surtout les inégalités sociales qui s'avèrent les plus
criantes. Les Français ayant un niveau d'étude supérieur ou égal à bac
+ 4 consomment davantage de fruits et deux fois moins de sodas que ceux
qui se sont arrêtés au primaire ou au collège. Ils pratiquent plus
d'activité physique et sont moins souvent obèses. " Cette étude
confirme que la nutrition est un grand marqueur social, juge Serge
Hercberg. Ces inégalités ont tendance à s'accroître : les populations
défavorisées améliorent leur état nutritionnel mais beaucoup moins vite
et moins nettement que celles favorisées. "
De
manière générale, " les Français ne mangent pas assez bien pour être en
bonne santé ", assène le spécialiste de la nutrition. " Beaucoup reste
à faire pour atteindre une alimentation de bonne qualité nutritionnelle
et surtout accessible à tous, avance-t-il. Il ne suffit pas de
responsabiliser les individus, il faut également augmenter la qualité
nutritionnelle des produits et leur transparence. " Cela passe par une
politique de santé publique " bien plus ambitieuse qu'aujourd'hui ",
basée sur des taxes et des subventions, l'interdiction de la publicité
sur les aliments trop riches en gras, en sel et en sucre, ou la mise en
place d'un logo nutritionnel. Une façon de rappeler que notre santé ne
réside pas seulement dans notre assiette.
Audrey Garric