La “démocratie liquide” ou comment repenser la démocratie à l’âge numérique ? |
Le renouveau démocratique à l’heure d’internet ?
Dominique
Cardon explique ici qu’ « internet est un laboratoire politique, le
lieu où s’expérimentent des solutions alternatives à la démocratie
représentative. »
Les
critiques de la démocratie représentative telle qu’elle existe
aujourd’hui en France tournent souvent autour du concept de “démocratie
liquide” (voir aussi L'Alphabet Numérique de Soft Power consacré ce
sujet ).
Formule complexe, et parfois critiquée, la “démocratie
liquide” se situe entre la démocratie représentative et la démocratie
directe. La mise en œuvre de ces nouvelles formes de démocratie passe
par de nouveaux outils dont le numérique permet le développement.
Le
concept de démocratie liquide apparaît à la fin des années 2000. A
l’origine le terme renvoie notamment à l’ouvrage de Zigmunt Bauman,
Liquid Modernity (vous trouverez ici un article sur cet ouvrage).
Insuffisamment connu en France, mais star de la sociologie en Italie ou
aux États-Unis, ce philosophe polonais a introduit le concept de
“modernité liquide”, de “société liquide”, d’ “amour liquide” ou de
“démocratie liquide”. Son idée est que nous entrons dans une
post-modernité fluide (ce qu’il appelle la “modernité liquide”) où les
individus échappent aux positions fixes et dont les trajectoires
deviennent “liquides”. Ceux-ci changent de place, de métier, de
partenaire affectif, de valeurs. L’identité ou la réussite sont définis
en termes de choix individuels et sont beaucoup plus flexibles
qu’avant, d’où cette métaphore du liquide. Ce qui a beaucoup de
conséquences : les protections traditionnelles s’évanouissent ; les
valeurs familiales s’estompent ; les engagement s’affaissent. Pour
Bauman, les individus vont désormais privilégier le changement, la
mutation, la disruption, plutôt que le statu quo. Ce faisant, le
sociologue entend dépasser l’analyse traditionnelle, et même le concept
de “post-modernité”, en utilisant justement cette métaphore de la
modernité, hier “solide” et devenue désormais “liquide”.
La
démocratie liquide, c’est l’adaptation de ce concept à la sphère
politique. On cherche à redonner un sens aux relations politiques entre
tous les citoyens. L’objectif étant d’ouvrir le jeu démocratique. On
trouve ici l’idée selon laquelle c’est au tour de la politique d’être
bouleversée par la technologie.
Ces outils qui permettent de faire entendre une pluralité de voix
Nombreuses
sont les initiatives qui émergent actuellement, en multipliant les
outils permettant justement de faire entendre les voix inaudibles dans
le système et le débat politiques actuels.
Par
exemple, “Liquid Feedback” est un outil développé par le Parti Pirate
allemand qui cherche à mettre en œuvre un idéal de démocratie liquide.
Ce système regroupe par thèmes des sujets de débat et invite les
utilisateurs à voter. Il permet donc à tous de s’exprimer sur
différents sujets. Il s’agit d’un logiciel open source, ses
développeurs sont membres d’une association qui promeut l’utilisation
de médias numériques pour les processus démocratiques.
Gov
est une application sur laquelle les utilisateurs viennent donner leur
avis sur des thèmes divers et variés. L’utilisateur peut également
lancer un sujet sur lequel il souhaiterait connaitre l’avis des autres.
Cette application acquiert une influence croissante au fur et à mesure
que ses utilisateurs se multiplient. Dans Le Monde, Frédéric Lefebvre
(Les Républicains), explique qu’il « vient prendre le pouls de
l’opinion sur des thèmes qui le préoccupent. Convaincu de l’impact de
cette « démocratie digitale participative », le député des Français de
l’étranger est persuadé que, « si la pratique se développe, les
parlementaires, conscients que de nombreux citoyens les notent en temps
réel, n’auront pas la même attitude dans un hémicycle. » »
Différentes
mais complémentaires sont les plateformes d’hébergement de pétitions.
Ces dernières semaines, la pétition « Loi travail : non, merci »,
lancée notamment par Caroline de Haas, a recueilli près d’1,3 millions
de signatures sur la plateforme change.org. Les tenants de la
démocratie liquide militent pour que les gouvernements organisent un
référendum dès lors qu’une pétition atteint un certain nombre de
signatures. “We sign it” est une plateforme qui héberge des « pétitions
de mobilisation citoyenne » : elle a été fondée par Baki Youssoufou
(plus d’infos ici).
Des outils de mobilisation et de campagne
Dans
un autre domaine, les technologies favorisent l’émergence de nouveaux
outils pour mener des campagnes électorales. A la différences des
précédentes, qui sont ouvertes à tous les citoyens, ces plateformes ou
logiciels, sont davantage utilisés par les partis politiques ou les
groupes constitués.
C’est
bien sûr le cas de NationBuilder, un outil fondé en 2009 à Los Angeles
par Jim Gilliam. Il s’agit d’un «système d’exploitation de communauté»
adapté aux ONG, aux associations, aux activistes, aux artistes mais
également aux partis politiques et aux acteurs institutionnels. Le
système permet d’intégrer tous les aspects d’une campagne d’opinion :
le public visé, le financement, la communication et, bien sûr, le site
web dédié. NationBuilder permet notamment d’organiser les campagnes de
terrain, le porte à porte, ou encore de rationaliser les actions des
militants. « C’est l’interaction entre ces fonctionnalités qui fait la
force de l’outil. » lit-on ici. Sur Numerama, on apprend que
“NationBuilder est de plus en plus utilisé pour mettre en mouvement des
militants, mais aussi pour les impliquer dans l’élaboration et la
transmission du politique.”
Une
start-up comme celle de Liegey, Muller et Pons – trois jeunes français
qui s’intéressent aux campagnes politiques – ajoute aux éléments de
mobilisation de NationBuilder l’usage des données. Elle permet, presque
en temps réel, de mener des campagnes en fonction de données
socioélectorales à l’échelle d’un quartier ou même d’un immeuble.
Comment sont utilisés ces outils pour ouvrir le jeu démocratique ?
Désormais
tout le monde peut lancer des sondages à partir de son compte Twitter.
Cela permet de poser des questions à ses followers. On lit ici que
c’est également un moyen d’augmenter l’engagement des utilisateurs du
réseau.
A
gauche, le Collectif Roosevelt milite pour l’application de la
démocratie : il critique l’inefficacité du système actuel. Nouvelle
Donne a été fondé dans sa lignée et ce parti se propose notamment de «
décider d’un non-cumul très strict des mandats y compris dans la durée,
d’une responsabilité accrue de l’Assemblée [nationale], de construire
un vrai statut de l’élu pour que les mots « carrière » et « politique »
ne soient plus accolés et [de] faciliter le retour à la « vie normale »
à la fin du 2e ou du 3e mandat ».
A
noter aussi l’initiative #MaVoix qui milite pour que des citoyens de
base soient élus à l’Assemblée Nationale en 2017. Ses organisateurs
déplorent les limites de la démocratie représentative et souhaitent
expérimenter de nouvelles méthodes afin de réaliser enfin l’idéal
démocratique – du moins de s’en approcher. laprimaire.org est, quant à
lui, un mouvement qui critique la démocratie représentative et réclame
que les candidats aux élections présidentielles soient issus d’un choix
des citoyens, comme on peut le voir sur le site, les citoyens étant
invités à se présenter à des primaires citoyennes ouvertes à tous.
On
assiste finalement à une forme de “new age of activism” qui a pour
ambition de permettre à un plus grand nombre de personnes de faire
entendre leur voix grâce au développement d’outils numériques nouveaux.
Ce mouvement, très fort en France à un an de la présidentielle, est, en
réalité, un mouvement global. Comme l’expliquait Charles M. Blow dans
le New York Times : « Il s’agit, en fait, d’une nouvelle façon de
penser la justice sociale grâce à la mise en réseaux [social network
approach to social justice], non pas tant de manière centralisée et
orchestrée, que grâce aux foules [crowd-sourced], au partage, aux
followers et aux “J’aime” [de Facebook] pour créer du consensus et
améliorer la conscience collectiv. »
En d’autres termes, il s’agit d’imaginer une démocratie qui ne serait plus “top-down” — animée du haut vers le bas de la société — , mais “bottom-up” : une démocratie qui partirait du terrain, des problèmes des individus et des solutions du “bas”, afin d’irriguer toute la société pour la rendre plus démocratique et plus efficiente.