Article ER du 12 août 2016
Beaucoup avaient d’avance annoncé son échec. Yann est toujours là.
Il ne fanfaronne pas, mais il gagne sa vie en même temps que son pari :
créer une petite entreprise de maraîchage à taille humaine et en
dégager un salaire. Peut-être bientôt un deuxième. Et sans recours
aucun aux artifices phytosanitaires. Yann est de ceux qui voient la vie
alimentaire en bio, mais pas en grand.
Yann
Doridant, 31 ans, est un enfant du pays, pour ainsi dire né sur les
sommets de ce magnifique village promontoire, qu’il n’a quitté que le
temps des études et de l’amorce d’une carrière.
« J’avais une passion pour la forêt », se souvient-il. Alors après mon
Bac S, je me suis lancé dans un BTS de gestion forestière. » Où il a vu
confirmer son goût pour la nature et l’environnement. Il part ensuite
se régaler dans une école d’agronomie, découvre « la part considérable
que l’agriculture a dans la protection de la nature » (ou de sa
dégradation) et c’est là que germe l’idée d’un projet agricole qui
respecterait la nature.
Pente raide
Deux ans passent ensuite en Meuse, dans un verger conservatoire. À la
suite de quoi il fait son retour sur les flancs de la colline d’Amance
où il acquiert un terrain… impossible. Une parcelle peu polluée par
l’activité précédente, mais un sol argileux, en pente assez raide et
truffée de pierres… Un peu plus d’un hectare où, en cinq ans, il a fait
la preuve que son envie de maraîchage de petite surface ne relevait pas
de l’utopie. « Un peu moins d’un hectare, ce n’est pas grand-chose,
mais à terme, j’arriverai à faire vivre 2-3 personnes ici. » Il se
l’est promis.
Car de ces contraintes, il a tiré quelques atouts. Du bassin de
rétention situé en hauteur, l’eau coule naturellement dans ses tuyaux
pour arroser ses cultures en contrebas. Nul besoin de pompe pour gagner
en pression.
Et
alors que chez certains maraîchers, le printemps s’est distingué par
une pluviométrie dévastatrice, chez l’Amançois la pente a permis
d’évacuer le trop-plein d’eau. « Mais j’ai quand même pris deux
semaines de retard pour mes tomates. En cinq ans, c’est le pire des
printemps que j’ai connu. Le pire aussi pour mes collègues qui sont
dans le métier depuis 30 ans »
Aujourd’hui toutefois, il fait beau. L’arrosage est mis en route, un
goutte-à-goutte économe qui préserve les feuilles de la maladie.
L’aspersion est réservée aux aubergines. Quatre serres retiennent pour
l’instant son attention. Une cinquième est en gestation.
Les oignons sèchent à l’abri, les tomates varient les délices par
douzaine. Cœur de bœuf, rose de berne, la green zébra, la très
appréciée cornue des Andes « très charnue et avec peu de graines », la
kaki coin testée cette année…
Petit ver et grelinette
À l’extérieur, non loin du verger en cours de croissance, se dessinent
de magnifiques planches de carottes, poireaux, salades. Choux, navets,
betteraves, rutabagas, courgettes aussi s’étagent sur les hauteurs du
domaine. Il extrait un panais pour en humer le parfum (« J’aime sentir
les choses »), s’aperçoit qu’une salade a été attaquée par un ver et
cherche le coupable.
Yann s’interroge constamment. Il réfléchit, planifie, et anticipe.
Beaucoup. Ses paniers d’AMAP doivent être toujours fournis (lire
ci-dessous). Il s’enquiert aussi du meilleur outil. La mécanisation ici
se réduit à un motoculteur et une tondeuse. Mais la petite grelinette
aère le sol sans le labourer (« ce qui permet de respecter l’agencement
naturel du sol »), la houe colinéaire permet de désherber sans se
casser les reins.
Yann remonte à mi-terrain, se pose un instant, contemple
l’extraordinaire panorama aux pieds de la colline. Il parle des anciens
qui l’ont conseillé, évoque son « fabuleux père », Jean-Pierre, qui l’a
tant aidé. Il sait les contraintes. Il sait sa chance. Il sait qu’il a
une belle carte verte à jouer à Amance.
Lysiane GANOUSSE