"  Le ciel attendra  " libère la parole sur la radicalisation


Le Monde du 29 novembre 2016 
Sylvie Kerviel
L'équipe du film de Marie-Castille Mention-Schaar sillonne la France pour débattre avec le public

Cela fait six mois que cela dure et, à chaque fois, le public est nombreux, concentré, ému. Sorti le 5  octobre, le film Le ciel attendra, tourné au lendemain des attentats du 13  novembre 2015, vit une aventure singulière. Dès le mois de juin, la réalisatrice, coscénariste et productrice Marie-Castille Mention-Schaar et une partie de l'équipe du film dont les deux actrices principales, Noémie Merlant et Naomie Amarger, se sont engagées dans un tour de France afin de débattre du film avec les spectateurs. Son sujet est d'une -actualité brûlante : l'embrigadement djihadiste de deux adolescentes françaises " ordinaires " de banlieue, Sonia et Mélanie, et le profond désarroi de leurs familles face à une radicalisation qu'elles n'avaient pas vu venir.

De Périgueux à Boulogne-sur-Mer en passant par Avignon, des parents, concernés ou non par ce drame, des enseignants, des éducateurs, des élus locaux, des adolescents aussi, se réunissent autour de ce film saisissant pour prolonger les questions qu'il soulève, faire part d'inquiétudes, apporter des témoignages. Des séances ont même été organisées à Matignon pour Manuel Valls et ses équipes – le premier ministre est revenu participer à un débat public le 14  novembre à Evry (Essonne), dont il fut le maire et où sont scolarisés ses enfants. Une projection privée a eu lieu à l'Elysée, à la mi-octobre, pour François Hollande. La ministre de l'éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, a recommandé aux enseignants d'aller voir le film. On évalue à près de 2 000 le nombre de mineurs radicalisés en France, dont un tiers de filles. " Je souhaite que mon film agisse comme une prévention ", répète la réalisatrice à chacune de ses interventions.

Ce soir de novembre, ils sont une quarantaine à avoir bravé la pluie pour participer à la soirée-débat à l'affiche du Magic Cinéma, à Bobigny (Seine-Saint-Denis). Dans la salle, une représentante d'association qui combat le radicalisme religieux, Femmes sans voile, est la première à prendre la parole pour remercier la réalisatrice de " montrer le désarroi des parents. Quand on a un enfant qui se radicalise, on ne sait vers qui se tourner ". Avec une réserve cependant : " Votre film nous dit que les rencontres se font sur Internet. Pour beaucoup -elles se font sur le terrain. "

Un juste reflet
De sa voix douce, Marie-Castille Mention-Schaar explique sa démarche, raconte comment elle a travaillé pour ce film très documenté, les mois qu'elle a passés, en amont, avec la coscénariste Emilie Frèche, à rencontrer des associations et des professionnels luttant contre l'embrigadement des jeunes par l'organisation Etat islamique (parmi lesquels Dounia Bouzar, la très médiatisée directrice du Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l'islam, qui joue son propre rôle dans le film), des familles concernées par ce phénomène et des jeunes filles en processus de déradicalisation.

" Ce qui m'a frappée, c'est la méconnaissance générale, l'incompréhension. C'est cela qui m'a donné envie de faire ce film ", dit la cinéaste. Un homme demande pourquoi elle s'est focalisée sur des jeunes filles et non sur des -garçons. Marie-Castille Mention-Schaar répond que ce phénomène lui a semblé " plus mystérieux ". Une main se lève derrière lui, une femme venue de la ville d'à côté, Sevran. Elle n'a pas regardé Le ciel attendra comme une fiction mais comme le juste reflet de ce qu'elle a vécu. Son fils a rejoint la Syrie, il y est mort. Elle aussi remercie l'équipe pour ce film, et ce débat qui lui donnent le sentiment de se " sentir moins seule ".

Le lendemain matin, Marie-Castille Mention-Schaar, accompagnée cette fois de Noémie Merlant, est au Plessis-Robinson (Hauts-de-Seine) pour une rencontre avec quelque 250  élèves de troisième des collèges Romain-Rolland et -Nicolas-Ledoux. Les applaudissements sont nourris quand, à la fin de la projection, la réalisatrice descend vers la scène, serrant contre elle la jeune actrice. Les rires moqueurs, dès qu'un élève prend la parole, n'empêchent pas les questions de fuser. " Est-ce que ce sont les attentats qui vous ont poussée à faire ce film ? " ; " Les illuminatis, ça a un rapport avec l'islam ? " ; " Les actrices que vous avez choisies, elles étaient concernées par ces histoires ? " Marie-Castille Mention-Schaar répond longuement à chacun, insistant sur le plaisir qu'elle prend à ces rencontres : " On fait des films pour les partager avec le public, pour qu'un lien se crée. La culture est un moyen de parler de notre société, d'éveiller les consciences. Le cinéma sert à cela. "

Les questions sont plus personnelles pour Noémie Merlant (Sonia) : " Ça n'a pas été dur de jouer une fille radicalisée ? " ; " Est-ce que vous êtes musulmane ? " La comédienne répond que non, elle n'est pas musulmane, mais que la découverte du Coran l'a intéressée. Qu'elle a travaillé avec une jeune fille en cours de déradicalisation pour interpréter son personnage : " Au Festival d'Angoulême, des adolescentes m'ont dit “Votre rôle, c'est moi !” " Elle comprend que des jeunes soient perturbés par le monde actuel : " Moi aussi, adolescente, je voulais changer le monde, j'avais des idéaux, et j'en ai encore ! "

Alors que, le débat terminé, quelques élèves se bousculent vers la scène, smartphone en main, pour une séance de selfies, un jeune garçon attend la réalisatrice à la sortie de la salle. " Il y aura une suite, madame ? Parce qu'on a envie de savoir ce qui arrive à Noémie après son départ pour la Syrie. " Dans son regard, on devine une vraie inquiétude pour le devenir de la jeune fille de fiction, comme s'il s'agissait d'une copine de classe.

Sylvie Kerviel


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