La lutte contre la radicalisation
une nouvelle fois interrogée
(Le Monde, 15 juin 2016)
« Le double
assassinat, lundi 13 juin, d’un policier et de sa compagne, au nom de
l’organisation Etat islamique (EI), par Larossi Abballa, vient une
nouvelle fois interroger les méthodes de suivi des individus
radicalisés. Depuis deux ans, tout un dispositif était en train de se
mettre en place en France pour tenter de mieux repérer et prendre en
charge ceux séduits par le djihad armé. Mais cet arsenal n’en est qu’à
ses débuts, et le parcours du djihadiste de 25 ans vient illustrer
toute la complexité du sujet.
Selon nos
informations, Larossi Abballa était en effet seulement âgé de 19 ans
quand il a été repéré pour ses premiers signes de radicalisation. On
est alors en 2010, dans le quartier des Mureaux (Yvelines). Il
fréquente assidûment un jeune homme de sa génération, tenté par le
djihad dans la zone afghano-pakistanaise. Mais à cette époque, le
terrorisme est moins une priorité qu’aujourd’hui, et les services de
renseignement ne s’intéressent sérieusement à lui qu’à partir du moment
où ils le surprennent en train de participer à des entraînements avec
tout un groupe de garçons prêts à en découdre. […]
Prise en charge tâtonnante Un service a
été créé spécifiquement pour le piloter : l’Etat-major opérationnel de
prévention du terrorisme (EMOPT). La structure a été confiée à Olivier
de Mazières, un préfet habitué des sujets sensibles – il était
auparavant coordonnateur de la sécurité en Corse. Les fiches des
individus signalés, près de 13 000 aujourd’hui, « sonnent » depuis peu
tous les deux mois si aucune mise à jour n’a été faite. Le fichier sert
aussi de base à tout le « criblage » (passage au filtre des fichiers de
police) des personnes pouvant être amenées à travailler dans des
secteurs sensibles. Une vaste réflexion délicate est à ce titre en
cours avec le Secrétariat général de la défense et de la sécurité
nationale (SGDSN).
Si le suivi
s’améliore, la prise en charge concrète des individus repérés, reste,
elle, très tâtonnante. Dans les départements, de plus en plus
d’associations sont mandatées par les préfets pour s’occuper de ce
nouveau public. Les services sociaux (Pôle emploi ou les missions
locales notamment) peuvent être associés. Au moins un centre d’accueil
est par ailleurs censé voir le jour d’ici à la fin de l’année, comme
l’a annoncé le premier ministre, Manuel Valls, en mai. Situé en
Indre-et-Loire, il accueillerait des personnes considérées comme les
moins à risques – le « bas du spectre », en langage policier. A terme,
il pourrait y avoir un centre de ce genre par département.
Les grilles
d’analyse et la doctrine manquent toutefois sur le sujet. Faut-il
parler religion ou emploi aux personnes signalées ? Nécessitent-elles
une prise en charge psychologique ou sociale ? Les cas de figure sont
nombreux. Un secteur en friche dans lequel a du coup décidé de se
plonger, depuis avril, une mission d’information présidée par la
sénatrice EELV du Val-de-Marne Esther Benbassa, et la sénatrice LR du
Haut-Rhin Catherine Troendlé.
Où aurait pu
trouver sa place Larossi Abballa dans tous ces dispositifs ? Il n’était
redevenu un objectif identifié de la justice et des services de police
que depuis l’ouverture d’une enquête préliminaire concernant un de ses
proches, en septembre 2015 – les écoutes à son encontre n’ont rien
donné. Neuf mois après, il passait à l’acte. Tout l’enjeu de la lutte
contre la radicalisation est dans ce delta. »