Concernant l'accueil des réfugiés, sortons du débat " coût-bénéfice " !
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Le Monde 02 décembre 2016 par Thibault Gajdos
On ne doit pas
accueillir les réfugiés parce qu'ils bénéficieraient à notre économie –
pas plus qu'on ne doit les renvoyer parce qu'ils menaceraient notre
prospérité –, mais parce que c'est un devoir moral et juridique que
nous avons largement les moyens d'assumer. Rappelons que seulement
14 % des réfugiés se trouvent dans des pays développés.
Pourtant, l'Union européenne n'a cessé de déployer des
stratégies pitoyables pour se soustraire à cette obligation. Ainsi, le
" règlement de Dublin III ", adopté en 2013,
permet de renvoyer les réfugiés dans les pays par lesquels ils sont
entrés en Europe. Cela revient, d'une part, à imposer la charge la plus
grande aux pays les plus fragiles, et, d'autre part, à empêcher la
plupart des réfugiés de rejoindre les destinations qu'ils souhaitent
atteindre. De même, l'accord signé avec la Turquie en mars 2016
permet d'y renvoyer les migrants en situation irrégulière qui arrivent
en Grèce : l'Europe se débarrasse ainsi des migrants qui ont
rejoint la Grèce, et signale aux candidats à l'exil qu'il leur sera
extrêmement difficile de parvenir jusqu'aux pays du nord de l'Europe.
Faciliter leur intégration
Le président turc, Recep Erdogan, dont le pays
accueillait, fin 2015, 2,7 millions de réfugiés (contre 340
000 en France) a beau jeu de balayer, comme il vient de le faire, les
leçons de démocratie d'une Europe qui refuse d'assumer ses
responsabilités morales. En menaçant d'ouvrir ses frontières, il nous
place devant nos contradictions : voulons-nous défendre la
démocratie ou notre petit confort ?
Il serait donc temps que l'on se demande moins ce que
les réfugiés pourraient nous coûter ou nous rapporter, et davantage ce
que l'on peut faire pour faciliter leur intégration. Des chercheurs des
universités de Genève et Lausanne ont suggéré, dans un article récent,
quelques pistes prometteuses (" The Violent Legacy of
Victimization : Post-conflict Evidence on Asylum Seekers, Crimes
and Public Policy in Switzerland ", Mathieu Couttenier, Veronica
Preotu, Dominic Rohner et Mathias Thœnig, Centre for Economic Policy
Research, janvier 2016). Ils ont étudié le comportement des
demandeurs d'asile en Suisse entre 2009 et 2012. Ils ont montré que
ceux qui avaient été exposés dans leur enfance à des conflits et des
meurtres de masse avaient, en moyenne, une propension nettement plus
élevée (de 40 %) à commettre des actes violents que leurs
compatriotes nés après les conflits.
Réduire la Violence
Par ailleurs, si la violence des réfugiés s'exerce
d'une manière générale d'abord envers les membres de leur communauté,
ce biais est deux fois plus élevé pour les réfugiés ayant été
confrontés à des conflits violents dans leur enfance. Ce dernier point
est essentiel, car il démontre que la violence des demandeurs d'asile
est bien spécifiquement liée aux conflits qu'ils ont connus. Leurs
difficultés d'intégration sont ainsi à la mesure des violences qu'ils
ont traversées, et qui sont précisément les raisons pour lesquelles il
faut les accueillir.
Les chercheurs ont ensuite exploité les différences de
politiques d'accueil des demandeurs d'asile entre les cantons suisses,
afin de déterminer si certaines politiques permettaient de réduire ces
phénomènes de violence, et ainsi de faciliter l'intégration des
réfugiés. Ils ont montré que l'effet de l'exposition à des conflits
violents sur la propension à commettre des actes de violence
disparaissait lorsque les demandeurs d'asile étaient autorisés à
travailler rapidement (en France, un demandeur d'asile doit attendre
neuf mois le droit de travailler). Des politiques actives visant à
faciliter l'accès à l'emploi, l'offre de formations professionnelles et
des cours de langue et d'éducation civique ont des effets similaires.
Bien sûr, cette étude n'épuise pas le sujet, et
d'autres politiques d'accompagnement sont envisageables. Mais elle
permet de remettre au cœur du débat la seule question qui vaille
: comment accueillir ces migrants qu'on ne saurait laisser à la
frontière de l'Europe sans perdre notre âme ?
Par Thibault Gajdos
retrouver l'article sur la thématique "Migrations"