AREF, RÉFUGIÉ À NANCY, A CONNU LES GEÔLES, LES RUINES, LA GUERRE…
NANCY : NÉ PHOTOGRAPHE À ALEP
Depuis
les premiers clichés attrapés au vol à l’aide d’un smartphone, Aref en
a tant vu, tant capté, tant enduré… C’était en 2011, à Alep en Syrie,
lors d’une manifestation pacifique. « J’ai pris mes 1res photos parce
qu’il fallait bien que quelqu’un en prenne. On ne pouvait pas compter
sur les médias officiels inféodés au régime. Alors on passait par les
réseaux sociaux pour témoigner. »
Aref
pose les mots avec une extrême méticulosité sur les choses. Ces mots
étrangers pour lui, qu’il maîtrise déjà avec une étonnante dextérité.
Des mots qui font écho à ces photos dont il a fini par constituer une
véritable collection. Et ce toujours à Alep, son berceau familial,
ville dont il a vu peu à peu trembler chaque pierre, et les rues se
tacher d’un sang toujours plus abondant à mesure que s’égrenaient les
années.
Après
les manifestations pacifiques, l’heure de la rébellion a sonné. Aref
est toujours là, et prend des photos. De combattants aperçus dans une
trouée de murs, de restes ravagés d’un quartier victime des tirs de
mortier, de cadavres, « d’obsèques bâclées ». Un style s’ébauche chez
ce jeune homme qui, étudiant les lettres anglaises, se voit soudain
propulsé au rang de photo-journaliste. « Enfin, pas journaliste. Je
n’étais pas neutre. Je me suis toujours retrouvé du côté des rebelles.
» Ce qui, début 2012, lui vaut un séjour dans les geôles de Bachar
el-Assad, 40 jours la peur au ventre. « Peur de mourir sous la torture.
Torturé, oui. Mort, non. »
Le prix d’un trône Aref
est manifestement peu désireux de s’épancher sur cet épisode. Il nous
ramène à l’essentiel. Ces photos, exposées au mur de la Galerie 9 cette
semaine, où le vif du drapeau vert-blanc-rouge-noir tranche sur les
tragiques clairs obscurs. Un père berce son enfant alors que tristement
pend le moignon de sa jambe amputée. Un fauteuil richement orné trône
au milieu d’un champ de ruines, étonnamment indemne. « Pour moi, ce
cliché dit tout du conflit : quel prix faut-il payer pour conserver un
trône ? Réponse : un pays. C’est ça, le prix du trône de Bachar
el-Assad. »
Repéré
par l’agence Reuters dont il devient correspondant, Aref l’autodidacte
bénéficie d’une formation expresse en Turquie. Au maniement des armes
aussi, il est formé par les troupes rebelles. « Mais mon arme
véritable, c’est mon appareil. »
Fin
2014 pourtant, Aref est las. Épuisé par ce quotidien jonché de
cadavres, où la liste de ses amis et proches décédés croît jusqu’à la
litanie. « Surtout, je faisais des photos d’une guerre sans fin qui,
aux yeux des Occidentaux, a fini par se banaliser. »
Depuis
la Turquie, il sollicite un statut de réfugié en France qui lui est
accordé au printemps dernier. Mars 2015, arrivée à Nancy où il a un
ami. Aref travaille dans un restaurant libanais, décroche une bourse,
s’inscrit en licence d’orientalisme à l’université de Lorraine Nancy
II. « Pour me cultiver. Je suis arrivé au photo-reportage par hasard,
mais à présent je veux en faire un métier. Or il est important d’être
cultivé pour faire du bon journalisme. »
Cette
expo, un an après, il lui reconnaît une vertu : elle l’a « soulagé ».
Un peu. D’un trop-plein d’images qui le hantent, de cette guerre « que
j’ai constamment dans la tête ». C’est qu’à 23 ans, il en a tant vu
déjà, Aref…
Galerie Neuf, 9 rue Gustave-Simon à Nancy, jusqu’au 6 avril, de 14 h à 18 h. Entrée libre. Lysiane GANOUSSE
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